Il sera bientôt plus compliqué de déployer le faste sur la colline du Parlement.

Les rituels parlementaires les plus formels comme le discours du Trône ou les cérémonies de sanction royale impliquent beaucoup de va-et-vient entre la Chambre des communes et le Sénat.

C'est assez facile à chorégraphier quand les deux chambres du Parlement se situent aux extrémités opposées du même bâtiment.

Toutefois, la Chambre des communes et le Sénat seront logés dans des bâtisses différentes à compter du mois prochain, car l'emblématique édifice du Centre sera fermé pour au moins 10 ans à cause des travaux de rénovation qui y seront exécutés.

Personne n'a encore déterminé comme sera organisé le défilé cérémonieux entre les deux institutions séparées par trois pâtés de maisons et une rue animée.

« C'est une très bonne question. Nous en débattons pour trouver une solution », a reconnu le président du Sénat, George Furey.

Le discours du Trône et une cérémonie de sanction royale nécessitent un cérémonial bien orchestré.

Portant un manteau et un bicorne noirs, l'huissier du bâton noir, qui est officiellement le serviteur personnel et le messager de la souveraine ou de son représentant, le gouverneur général, ainsi que le haut fonctionnaire protocolaire du Parlement, se rend solennellement du Sénat aux Communes, précédé par trois personnes. Il frappe trois fois à la porte des Communes avec sa canne en ébène à pointe dorée et, une fois qu'il y est admis, il informe les députés qu'ils ont été convoqués au Sénat par la reine ou son représentant pour écouter un discours du Trône ou être témoins de la sanction royale donnée aux projets de loi.

Il revient ensuite au Sénat, suivi du sergent d'arme portant la lourde masse dorée, du président de la Chambre des communes vêtu de sa toge noire et des députés. Une fois la cérémonie terminée, les députés retournent aux Communes.

Comment procéderont-ils à l'avenir ?

L'huissier au bâton noir devra-t-il marcher le long de la rue Wellington sous la pluie, sous la neige ou sous un soleil brûlant entre le Sénat, qui a élu domicile dans la vieille gare historique d'Ottawa, et la Chambre des communes, temporairement installée dans l'édifice de l'Ouest de la colline du Parlement ? Le sergent d'arme devra-t-il porter sa lourde masse sur ses épaules tout en évitant les touristes et les autobus de la ville en se dirigeant vers le Sénat ?

Fermera-t-on la rue Wellington lorsque les 338 députés se rendront au Sénat ? Les élus monteront-ils plutôt dans les autocars qui les transportent normalement sur la colline du Parlement ?

« L'huissier se rendra à l'édifice de l'Ouest en Uber », a lancé à la blague le sénateur Scott Tannas, qui préside le sous-comité du Sénat supervisant le déménagement de la Chambre haute.

Le déménagement des deux chambres modifie totalement le cérémonial, a concédé le président de la Chambre des communes, Geoff Regan. « Nous ne pouvons plus simplement emprunter le couloir pour nous rendre jusqu'au Sénat. Il faudra parfois prendre un autobus ou marcher ou quelque chose du genre pour aller de l'édifice de l'Ouest au nouvel édifice du Sénat. »

Des discussions sont en cours entre les greffiers, les présidents et des membres des deux chambres afin de déterminer la chorégraphie des cérémonies. Selon M. Furey, quelques projets ont été élaborés et ceux-ci devront être mis à l'essai au tournant de la nouvelle année afin de voir s'ils sont réalisables. Une répétition réalisée plus tôt en décembre a permis de constater qu'il y avait trop d'écho dans le nouveau Sénat.

Bien sûr, ce n'est qu'un mince problème comparativement aux défis logistiques soulevés par le déplacement de centaines de députés, du personnel politique et du personnel administratif du Parlement. Sans oublier, non plus, le déménagement et l'entreposage de toiles historiques, de sculptures et de meubles volumineux.

D'autres questions entourant la rénovation de l'édifice du Centre demeurent encore sans réponses.

Combien coûtera la rénovation ? Combien de temps cela prendra-t-il ?

Selon Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), les travaux de restauration de l'édifice de l'Ouest, de l'ancienne gare d'Ottawa et des autres bâtiments qui abriteront toutes les personnes délocalisées ont coûté environ 3 milliards. De plus, des contrats d'une valeur totalisant 770 millions ont déjà été attribués pour des travaux à exécuter dans l'édifice du Centre.

Le projet devrait durer de 10 ans à 13 ans, bien que beaucoup soupçonnent qu'il en faudra plus de 15.

Le sous-ministre adjoint, Direction générale de la Cité parlementaire, au SPAC, Rob Wright, a expliqué qu'on ne pouvait ni déterminer le coût des travaux ni établir un calendrier avant de connaître l'état réel du bâtiment centenaire. Il faudra notamment vérifier si l'intégrité de sa structure en acier a été compromise par la rouille causée par des fuites d'eau.

« Nous en savons beaucoup à ce sujet, mais nous devons vraiment commencer à ouvrir les murs, les planchers et les plafonds. Comme tout le monde le sait, on ne peut établir un état des lieux sans avoir ouvert tout cela », a-t-il souligné.

Selon lui, le coût définitif des travaux dépendra aussi de l'ampleur des modernisations jugées essentielles par les parlementaires. En réalité, a-t-il ajouté, on prendra les moyens nécessaires pour mener les travaux à leurs termes.

« Ce qui compte le plus, c'est de faire en sorte que les parlementaires d'une démocratie du XXIe siècle puissent être bien servis par l'édifice du Centre et les autres immeubles de la Cité et que les Canadiens puissent être fiers de ces lieux pour les siècles à venir. »

L'intérieur de l'édifice du Centre changera-t-il beaucoup ?

M. Wright a révélé que les concepteurs des travaux de rénovation avaient tenté de trouver « un bon équilibre entre la sauvegarde du patrimoine et la modernisation afin de pouvoir conserver le meilleur du passé tout en se tournant vers l'avenir ».

Plus tôt en décembre, les membres du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes s'étaient plaints du manque de consultations sur les travaux. Ils s'étaient donc désignés comme les chiens de garde du projet afin de surveiller son évolution et, si cela est nécessaire, de réclamer des ajustements.

D'après Geoff Regan, la plupart des changements les plus importants, comme l'élimination de l'amiante dans les murs et les plafonds, le remplacement des systèmes électriques, de plomberie, de chauffage et de climatisation ainsi que l'ajout d'appuis structurels pour permettre à l'édifice de résister aux tremblements de terre, ne seront pas visibles.

En outre, l'endroit deviendra plus accessible aux personnes à mobilité réduite et offrira plus de confort aux élues, deux catégories de personnes auxquelles les constructeurs n'avaient pas songé il y a 100 ans.

Le président de la Chambre des communes veut que tous les changements qui pourraient altérer le caractère historique de l'édifice soient approuvés par les parlementaires. Parmi ces modifications : la disposition des sièges aux Communes. Certains souhaitent un modèle circulaire, en forme de demi-cercle ou de fer à cheval, qui serait plus favorable à la collégialité. M. Regan, lui, en doute, car il juge que l'Assemblée nationale semi-circulaire en France est « probablement plus bruyante que [la] Chambre ».

De son côté, la ministre des Services publics, Carla Qualtrough, a affirmé que ce type de changement était « tout à fait sur la table ». Selon elle, tout ce qui modifierait le comportement des députés « constituerait un progrès formidable ». Mais pour le moment, le plan est de « garder les choses comme elles sont jusqu'à ce qu'une décision soit prise ».

À quoi ressemblera la colline du Parlement durant la rénovation de son bâtiment principal ?

SPAC s'est engagé à ce que les touristes aient de bons souvenirs de la colline parlementaire pendant les travaux. Le ministère collabore avec ses partenaires pour veiller à ce que les activités comme le spectacle de son et de lumière, les célébrations de la fête du Canada, la relève quotidienne de la garde pendant la période estivale ou même les cours de yoga sur la pelouse en face de l'édifice du Centre ne soient pas perturbées.

La vice-présidente au développement de la destination à Tourisme Ottawa, Catherine Callary, estime qu'il est impossible que la fermeture du site touristique le plus photographié dans la capitale nationale n'ait pas de répercussions. Les touristes seront invités à visiter d'autres lieux, comme l'édifice de l'Ouest ou l'ancienne gare convertie en Sénat, mais la clé pour séduire les visiteurs sera de bien installer les échafaudages autour de l'édifice du Centre afin d'en réduire l'impact visuel.

Selon elle, l'édifice du Centre devra être recouvert de bâches reproduisant sa structure pour que les touristes aient la sensation d'avoir réellement vu le bâtiment et puissent se photographier devant sa façade. De telles installations sont très onéreuses, a reconnu Mme Callary.

SPAC a dit « comprendre la nécessité de réduire l'impact visuel » des travaux de rénovation, mais a précisé n'avoir pris aucune décision à ce sujet, car les bâches ne seront pas installées avant le début de 2020.