L'ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper a-t-il utilisé les fonds de l'Agence de développement économique du Canada (DEC) pour les régions du Québec afin de favoriser les circonscriptions qui élisaient des députés conservateurs durant ses quelque 10 années au pouvoir?

Le ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, croit que ç'a été le cas. Il a récemment demandé aux fonctionnaires de son ministère de revoir la façon dont les projets de développement régional sont approuvés par Ottawa, a appris La Presse.

Une étude des quelque 2,7 milliards de dollars qui ont été investis au Québec pour le développement régional entre 2006 et 2015 démontre qu'une importante partie de ces fonds a servi à financer des projets qui se trouvaient dans les circonscriptions détenues par un député conservateur ou qui auraient pu basculer dans le camp des conservateurs lors d'une élection fédérale.

Une question aux Communes

L'étude a été menée par le ministère de l'Innovation après que la députée du NPD de l'Abitibi-Témiscamingue, Christine Moore, eut soumis une question écrite à la Chambre des communes en mars 2016 dans laquelle elle demande des explications sur les sommes investies pour le développement régional au Québec entre 2002-2003 et 2014-2015.

Le chef adjoint du Parti conservateur et député de Roberval, Denis Lebel, était le ministre responsable de DEC durant la majeure partie des années au pouvoir du gouvernement conservateur. M. Lebel a aussi été le lieutenant politique de M. Harper au Québec.

La circonscription de Roberval, que l'ex-ministre Denis Lebel représente à la Chambre des communes depuis septembre 2007, est l'une des régions qui a eu sa part du gâteau du développement régional, selon l'analyse du ministère de l'Innovation.

Durant cette période, la région du Saguenay - Lac-Saint-Jean a obtenu quelque 233 millions de dollars en fonds fédéraux pour financer divers projets de développement régional. C'est sept fois plus d'argent que la région de Laval, qui a toujours été réfractaire aux conservateurs durant la dernière décennie et qui n'a obtenu que 32 millions de dollars en développement régional.

La région de Québec, qui a élu des députés conservateurs à toutes les élections fédérales depuis 2006, a aussi été traitée aux petits oignons. La région de la capitale nationale a en effet reçu 443 millions de dollars en fonds, soit une somme 14 fois plus élevée que la région de Laval et presque autant que la région de Montréal (481 millions de dollars). La région de Québec a obtenu, au prorata de sa population, une somme deux fois plus élevée que la ville de Montréal.

La région du Bas-Saint-Laurent, où les conservateurs entretenaient l'espoir de faire des gains, a aussi été bien traitée. Cette région s'est vue octroyer 225 millions de dollars en fonds fédéraux pour le développement régional entre 2006 et 2015.

«De toute évidence, les conservateurs ont utilisé ces fonds à des fins politiques dans le passé et le ministre Bains procède à un examen des pratiques en vigueur concernant l'approbation des projets de développement régional», a confirmé une source libérale qui a requis l'anonymat.

Les conservateurs répliquent

M. Lebel n'a pas voulu commenter les allégations de favoritisme des libéraux. Mais son ancien chef de cabinet, Yan Plante, a réfuté les conclusions du gouvernement Trudeau, soulignant que la grande région de Montréal a accès à des programmes fédéraux qui échappent aux autres régions du Québec.

«Lorsque l'on regarde le financement fédéral au Québec, on devrait l'analyser dans son ensemble. Par exemple, le Grand Montréal a accès beaucoup plus facilement à des fonds importants de gros ministères comme Industrie Canada, que le Bas-Saint-Laurent, l'Abitibi-Témiscamingue ou la Côte-Nord. Or, quand Industrie Canada vient à Montréal faire une annonce de centaines de millions de dollars, c'est excellent pour l'économie montréalaise et québécoise. Mais, ça n'aide pas nécessairement Val-d'Or, Gaspé, Trois-Rivières ou Alma. Ce serait un raccourci intellectuel de ne pas tenir compte de cela ou une démonstration d'une grande insensibilité envers les réalités régionales du Québec», a affirmé M. Plante, qui est aujourd'hui président de Compas stratégies.

Il a aussi soutenu qu'il faut tenir compte des projets qui ont été déposés durant cette période. «Les régions où il y a le plus grand nombre de projets approuvés sont généralement celles qui ont le plus de projets déposés», a-t-il dit.

Dans le passé, le Parti conservateur a critiqué la décision de Justin Trudeau de confier à un ministre de l'Ontario, Navdeep Bains, la responsabilité du développement économique régional au Québec. Autrefois, ce ministère était confié à un député du Québec.