Une réforme du Sénat pourrait être trop ardue, voire impossible si la Cour suprême ne permet pas au fédéral d'agir à sa guise, a laissé entendre l'avocat d'Ottawa, Robert Frater, jeudi, au dernier jour d'audience du renvoi sur la Chambre haute.

Pendant les trois jours de plaidoiries, l'ombre des considérations politiques n'a ainsi cessé de planer sur la Cour suprême du Canada.

Les huit juges ont finalement pris en délibéré cette affaire constitutionnelle, l'une des plus importantes de l'histoire du pays.

Et cet avis de la Cour sera une pierre angulaire de la fondation du pays pour des décennies à venir, selon un autre avocat, Mark C. Power.

«Ça va énoncer la feuille de route à suivre pour Stephen Harper ou un autre premier ministre pour modifier le Sénat, pour réformer la Chambre des communes ou moderniser le Canada», a déclaré celui qui était aussi procureur pour l'une des intervenantes dans cette affaire, la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA).

Le gouvernement Harper souhaite limiter le mandat des sénateurs à neuf ans et tenir des élections sénatoriales - pour les provinces qui souhaiteraient en organiser. Pour accomplir ces objectifs, il avait déposé un projet de loi en 2011, depuis mort au feuilleton.

Ottawa a tout de même demandé à la Cour suprême comment il pourrait mettre en oeuvre ces changements, et veut aussi savoir s'il peut abolir le Sénat. Le fédéral est d'avis qu'il peut agir seul pour modifier la Chambre haute et que pour s'en débarrasser, il n'a besoin que d'obtenir l'accord d'une majorité de provinces.

La plupart des provinces, dont le Québec, sont plutôt d'avis que l'unanimité est requise pour abolir le Sénat.

Pour modifier la Chambre haute, elles sont partagées. La plupart estiment qu'une majorité des provinces est requise, comptant au moins 50% de la population du pays (la formule dite du 7/50), alors que certaines croient que le fédéral peut agir unilatéralement.

Alors qu'il répliquait aux arguments des provinces jeudi, l'avocat du procureur général du Canada a incité les juges à ne pas adopter une lecture trop stricte de la Constitution canadienne, et de plutôt suivre l'approche pragmatique proposée par Ottawa.

Cela permettrait des actions significatives, «plutôt que 135 autres années de discussions», a plaidé Me Frater.

Il portait ainsi l'argument du gouvernement Harper, qui ne souhaite pas rouvrir la boîte de Pandore qu'est la Constitution, et qui ne veut pas s'empêtrer dans des débats constitutionnels qui pourraient durer des années. Le fédéral a opté pour une réforme plus modeste du Sénat, visant des changements qui peuvent s'effectuer, selon lui, sans les provinces. Et par simple loi, sans amendement constitutionnel.

Mais au cours des deux derniers jours, les provinces ont fait valoir - sauf la Saskatchewan et l'Alberta - que les modifications ne peuvent se faire sans elles.

Obtenir le consentement est peut-être difficile, mais pas impossible, ont plaidé les autres.

Jeudi, le débat sur l'impact de la réforme d'Ottawa sur l'indépendance du Sénat a eu aussi une odeur politique.

Des juges de la Cour suprême semblaient inconfortables avec l'idée de tenir des élections «facultatives» pour les sénateurs. Et d'avoir au Sénat à la fois des sénateurs nommés et des sénateurs élus.

La juge Rosalie Abella se questionnait sur la légitimité qu'auraient ces deux types de sénateurs.

«Vous n'avez pas à évaluer les conséquences politiques», mais plutôt à déterminer si le changement est possible en vertu de la Constitution, a rétorqué John Hunter, l'un des avocats nommés par la Cour suprême pour la conseiller.

Pour l'avocat Mark Power, le problème politique va d'ailleurs beaucoup plus loin que le problème juridique en jeu.

«La formule juridique (d'amendement constitutionnel) est difficile, convient-il, mais ce n'est pas une raison de l'écarter.»

Il pourrait s'écouler des mois, voire plus d'une année, avant que la Cour suprême ne rende son opinion très attendue.