Les gouvernements du Canada et de l'Ontario en appellent d'un jugement controversé de la Cour supérieure de l'Ontario, rendu mardi, qui invalide l'essentiel des lois canadiennes sur la prostitution.

Le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, a fait part des intentions de son gouvernement mercredi après-midi à la Chambre des communes, plaidant que la prostitution «fait du mal aux individus et aux communautés».

«C'est pour cela que je me réjouis d'annoncer à la Chambre que le gouvernement ira en appel et demandera une suspension de cette décision.»

Le procureur général de l'Ontario, Chris Bentley, s'est rapidement rallié à la cause, affirmant que sa province avait l'intention de se joindre à l'appel du fédéral.

Selon M. Bentley, les lois «protègent les gens» en les empêchant de se laisser «entraîner ou d'être forcés à se prostituer et de devenir la proie d'un dominateur». Elles protègent également les communautés en les mettant à l'abri «des effets défavorables des activités reliées à la prostitution».

En soi, la prostitution n'est pas illégale au Canada, mais des articles de loi criminalisent la pratique de cette activité. La cour ontarienne a invalidé mardi trois de ces articles.

Une juge de la Cour supérieure de l'Ontario a décrété mardi que certains articles des lois canadiennes régissant la prostitution étaient inconstitutionnels.

La juge Susan Himel a estimé que les lois empêchant la tenue de maisons de débauche, la communication pour des fins de prostitution et le fait de pouvoir vivre des fruits de la prostitution «vont à l'encontre des principes de justice fondamentale».

Elle a aussi dit que les lois mettaient les travailleuses du sexe en danger.

Le jugement est soumis à une période de grâce de 30 jours durant laquelle les lois actuelles demeurent en vigueur. Le gouvernement fédéral peut demander une prolongation de cette période.

Les gouvernements demanderont à la Cour d'appel de maintenir les lois actuelles sur la prostitution jusqu'à ce que l'appel soit entendu.

L'annonce de Rob Nicholson est survenue peu après que le premier ministre ontarien Dalton McGuinty ait insisté auprès du gouvernement conservateur pour qu'il en appelle du verdict.

Selon le premier ministre McGuinty, le jugement «propose des changements considérables aux lois qui sont inscrites dans les livres depuis des décennies». Il avait ajouté qu'il comptait appuyer l'appel du gouvernement fédéral.

Lors des audiences, la Couronne avait plaidé que l'annulation des dispositions de la loi sans les remplacer par autre chose pouvait représenter un danger pour le public.

La juge Himel a cependant affiché son désaccord face à cet argument, stipulant que «les lois, prises individuellement ou dans leur ensemble, forcent les prostituées à choisir entre leur liberté et leur droit à la sécurité tel que garanti par la Charte».

Protestations de femmes

Un peu plus tôt mercredi, des groupes de femmes du pays avaient exprimé leur colère à la suite du verdict de la juge Himel.

Ainsi, pour la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle (CLES), ce jugement nuit à tout le travail réalisé autour de la question de la violence envers les femmes depuis des décennies. Sa porte-parole, Diane Matte, a affirmé qu'il fallait se questionner sur l'industrie du sexe basée sur l'exploitation, la domination et le profit sur le dos des plus vulnérables.

Pour sa part, Jeannette Corbiere Lavell, présidente de l'Association canadienne des femmes autochtones (AFAC), a souligné que les femmes autochtones étaient surreprésentées et victimisées dans l'industrie du sexe, ce qui témoigne du lien entre le racisme et la misogynie dans la prostitution. Selon elle, le fait de décriminaliser l'industrie du sexe contribuera surtout à augmenter la marchandisation des femmes à des fins de traite et de prostitution.

La porte-parole de l'Association canadienne des sociétés Élizabeth Fry, Kim Pate, a fait valoir que la décriminalisation des clients et des proxénètes ne constituait pas une solution pour la sécurité de celles qui sont prostituées. Elle a également rejeté les tentatives de rabaisser, de criminaliser ou de punir les femmes en lien avec des activités prostitutionnelles.