(Ottawa) Les entorses aux politiques d’approvisionnement du gouvernement fédéral sont survenues fréquemment pour l’attribution de contrats à McKinsey depuis 2011, constate la vérificatrice générale dans un rapport déposé mardi. La firme de consultants a obtenu 97 contrats d’une valeur de 209 millions, dont la majorité a été accordée sans appel d’offres.

Absence de documents pour justifier la nécessité d’un contrat ou de justification pour expliquer l’absence d’appel d’offres, évaluation des coûts inexistante, manque de surveillance du travail effectué par la firme, le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada (SPAC) qui ne joue pas son rôle… Ces constats rappellent ceux déjà émis par Karen Hogan dans son rapport en février sur l’application ArriveCAN.

« Je n’ai aucune raison de croire que les résultats sont limités à McKinsey », a-t-elle signalé en conférence de presse.

La vérificatrice générale constate que neuf des dix ministères et organismes fédéraux et huit des dix sociétés d’État qui ont accordé des contrats à McKinsey « ont manqué à au moins un aspect de leurs politiques et directives d’approvisionnement pour au moins un contrat ». Elle estime que la fonction publique fédérale doit se demander pourquoi les règles ne sont pas suivies, d’autant plus qu’elles visent entre autres à assurer que le gouvernement en ait pour son argent.

« Sont-elles à ce point complexes que les gens essaient de les contourner pour accélérer le processus d’approvisionnement ou y en a-t-il tellement qu’il est impossible de toutes les connaître ? a-t-elle demandé. […] Faut-il que ce soit plus simple ou faire un bon rappel ? Je pense qu’il faut commencer par un rappel et ne pas créer davantage de règles. »

La vérificatrice générale a émis une seule recommandation mardi concernant les conflits d’intérêts et invite les ministères et sociétés d’État à revoir les recommandations antérieures sur l’attribution des contrats lors d’autres examens, dont celui de l’ombudsman de l’approvisionnement. Pour sa part, elle leur suggère de recenser « les conflits d’intérêts réels ou apparents » de façon proactive et de conserver cette déclaration dans le dossier d’achat.

« Aucune preuve d’ingérence politique »

L’ex-grand patron de la firme, Dominic Barton, s’était défendu devant le comité des opérations gouvernementales en février 2023 d’avoir des liens privilégiés avec le premier ministre Justin Trudeau. Il avait présidé le Conseil consultatif en matière de croissance économique à la demande de l’ex-ministre fédéral des Finances Bill Morneau en 2016. M. Barton a dirigé McKinsey jusqu’en 2018. Un an plus tard, il a été nommé ambassadeur du Canada en Chine, poste qu’il a occupé jusqu’en 2021.

Le Conseil du Trésor avait conclu, après un examen des contrats dans dix ministères, qu’il n’y avait « aucune preuve d’ingérence politique ». La vérificatrice générale en arrive aux mêmes conclusions.

Karen Hogan constate toutefois que près de 70 % des contrats ont été attribués sans appel d’offres, pour une valeur de 118 millions. Dans les cas où il y a eu un processus concurrentiel, elle a noté qu’à quatre reprises « la stratégie d’approvisionnement semblait avoir été conçue et mise en œuvre pour convenir à McKinsey & Company ».

Les contrats sans appel d’offres sont dus à un « mécanisme qui existait depuis 2008 » et qui faisait en sorte que le gouvernement pouvait travailler rapidement et directement avec un fournisseur de services professionnels « lorsque la propriété intellectuelle d’une certaine technique ou d’une base d’information » lui était clairement identifiée, a expliqué le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, en mêlée de presse. Ce mécanisme a été mis en arrêt depuis plus d’un an.

On avait également appris lors de l’étude en comité que le gouvernement fédéral avait signé un contrat ouvert sans valeur monétaire jusqu’en 2100 avec McKinsey pour des services informatiques. Le gouvernement s’était défendu en indiquant qu’il s’agissait d’une présélection pour économiser du temps et de l’argent.

« L’offre permanente avec McKinsey a expiré en février 2023, et aucune offre permanente n’est renouvelée », avait indiqué le ministre Duclos, dans une déclaration plus tôt dans la journée.

« Renforcer les règles »

La vérificatrice générale a examiné les 97 contrats accordés au cabinet-conseil entre 2011 et 2023, une période qui couvre à la fois le dernier mandat du gouvernement conservateur de Stephen Harper et les mandats subséquents du gouvernement libéral de Justin Trudeau. Elle précise que 200 millions ont été dépensés sur leur valeur totale de 209 millions. Les services professionnels offerts comprenaient des services d’analyse comparative, des services-conseils en gestion et des services-conseils en technologie de l’information.

La valeur de ces contrats a augmenté considérablement sous les libéraux, mais Mme Hogan dit avoir constaté un non-respect des règles de la part des fonctionnaires sous les deux gouvernements. Les contrats les plus importants ont été accordés par la Corporation Trans Mountain, Postes Canada, SPAC, la Défense nationale et le ministère de l’Immigration.

Le ministre Duclos a indiqué qu’il acceptait l’unique recommandation et « celles qui l’ont précédée ». Il a rappelé que des formations ont été données à tous les ministères et organismes sur le processus d’approvisionnement « pour renforcer les règles ». Le Ministère oblige également « les fournisseurs à faire preuve d’une plus grande transparence en matière de prix ».

Cet audit a été effectué à la demande du comité des opérations gouvernementales de la Chambre des communes qui avait examiné les contrats de services professionnels accordés à McKinsey. La vérificatrice générale a dévoilé deux autres rapports mardi, l’un sur les défaillances dans la gouvernance et la gestion des fonds publics assurées par Technologies du développement durable Canada, l’autre sur les lacunes en matière de lutte contre la cybercriminalité.

Ils ont dit

C’est 97 contrats, pour une valeur de 209 millions de dollars, beaucoup plus que ce qu’on pensait auparavant, qui ont été acheminés à l’entreprise de consultation préférée de ce premier ministre. […] Pourquoi donne-t-il cet argent à ses petits amis libéraux ?

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada

Le rapport de la vérificatrice générale montre encore un autre exemple du gouvernement libéral de Justin Trudeau qui veut aider ses amis, c’est ce qu’il semble [faire] et ignorer les règles. C’est inquiétant.

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Il y a une volonté, il y a une proximité, il y a une promiscuité, il y a une intimité entre le gouvernement et McKinsey qui est totalement inacceptable.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois