(Ottawa) « Quand je vois des mamans toutes bien habillées, mais qui ont les larmes aux yeux, c’est moi que je vois. » La députée Julie Vignola se reconnaît parfois dans le visage des femmes qui vont chercher des denrées à la banque alimentaire. Elle aussi a dû se résoudre à demander de l’aide après s’être retrouvée au chômage lorsqu’elle était jeune maman, mais elle a rebondi jusqu’à devenir députée fédérale de la circonscription de Beauport–Limoilou une dizaine d’années plus tard.

« Ce n’est pas venu du jour au lendemain, raconte-t-elle en entrevue. C’est un cumul de situations qui ont fait qu’à un moment donné, le budget était serré : un déménagement, deux grossesses, un contrat qui est réduit de 70 %… »

C’était en 2010. Julie Vignola approchait la mi-trentaine et était mère de quatre enfants. La famille avait quitté la Côte-Nord pour s’établir dans le Kamouraska afin d’être plus près de ses proches.

Mme Vignola était alors directrice adjointe d’une école secondaire et coordonnatrice de la Stratégie d’intervention Agir autrement déployée par le gouvernement du Québec pour encourager la réussite scolaire dans les milieux défavorisés.

Son conjoint travaillait à un salaire moins avantageux que sur la Côte-Nord et leurs revenus sont devenus insuffisants lorsqu’elle s’est retrouvée au chômage tout juste après un congé de maternité. Leur budget était très serré, mais leurs obligations demeuraient les mêmes.

« Pour moi, c’était quelque chose de lourd de dire : j’ai des études, j’ai une belle formation, j’ai une belle famille, je ne suis pas démunie, mais j’ai besoin d’aide. Je n’y arrive plus », confie l’élue titulaire d’un baccalauréat en enseignement qui a travaillé dans plusieurs écoles comme enseignante au secondaire et comme directrice.

C’était difficile. Ce n’était même pas une question d’orgueil. C’était une question de comment est-ce que ça peut arriver quand t’as tout en avant de toi.

Julie Vignola, députée de Beauport–Limoilou

Son travail l’avait amenée à rencontrer la directrice d’une banque alimentaire et c’est ce lien de confiance qui lui a finalement permis de demander de l’aide.

« Le point de rupture où je me suis dit : il faut que j’y aille, c’est en ouvrant l’armoire et en voyant que j’avais deux cannes de bines, puis une boîte de gruau, se rappelle-t-elle. Je n’avais pas d’œufs, pas de riz… J’avais atteint la limite de ce que je pouvais faire comme repas imaginatifs et bourratifs. Cette journée-là, je suis allée à Moisson Kamouraska. »

« S’il n’y avait pas eu un lien de confiance, je ne sais pas ce que j’aurais fait », admet-elle avec une pointe d’émotion dans la voix.

Les banques alimentaires, plus fréquentées que jamais

Les Québécois qui ont besoin d’aide pour se nourrir sont plus nombreux que jamais avec la hausse du coût de la vie. Le réseau des Banques alimentaires du Québec a aidé 872 000 personnes chaque mois en 2023, soit une personne sur dix. C’est 30 % de plus par rapport à l’année précédente et 73 % par rapport à 2019, l’année avant la pandémie de COVID-19. L’augmentation est telle qu’une majorité d’organismes qui leur viennent en aide ont manqué de denrées.

Le gouvernement Trudeau a prévu 1 milliard de dollars sur cinq ans dans son dernier budget pour créer un programme national d’alimentation scolaire. Le Bloc québécois le pressait depuis des mois de respecter cette promesse électorale, mais il réclame que l’argent soit transféré rapidement au Québec pour qu’il puisse répondre à la demande.

S’il fait l’objet de débats politiques, le sujet de l’aide alimentaire demeure tabou dans les couloirs du parlement. La Presse a tenté de vérifier si d’autres députés avaient déjà eu recours à une banque alimentaire, mais aucun autre parti à l’exception du Parti vert ne nous a répondu. Aucun des députés verts n’a vécu ce genre de situation.

Julie Vignola l’avait révélé spontanément dans une mêlée de presse le mois dernier après avoir appris que GC Strategies, l’une des entreprises liées au scandale ArriveCAN, avait empoché 2,5 millions du gouvernement pour faire du recrutement de personnel. L’ampleur du montant de cette commission l’avait profondément choquée.

Je suis immensément reconnaissante d’être là où je suis maintenant. Et quand je dis que c’est notre responsabilité de nous assurer que les deniers publics soient bien dépensés, c’est cette expérience-là qui me vient en tête parce que je sais ce que c’est, vivre serré. […] il n’était pas question de gaspiller.

Julie Vignola, députée de Beauport–Limoilou

Dans son cas, le vent a fini par tourner après quelques mois lorsqu’elle a pu dénicher un nouveau contrat. Elle en est sortie avec une grande empathie.

« Tout le monde peut vivre une situation difficile même si on se planifie, même si on essaie de regarder ce qui s’en vient. Et tout le monde, en bout de piste, peut réussir en travaillant à s’en sortir. C’est ce que je retire de cette expérience-là », constate-t-elle avec le recul. Et surtout ne pas hésiter, malgré le découragement, à « aller chercher les ressources même si on n’en a pas envie ».