(Québec) Deux anciens membres du comité consultatif sur le droit de la famille présidé par le professeur Alain Roy, qui avait été instauré par le gouvernement Marois après le jugement de la Cour suprême dans la cause dite Éric c. Lola en 2013, se disent déçus par la réforme trop « timide » présentée mercredi par Québec, qui prévoit créer l’« union parentale » pour les conjoints de fait avec enfants.

Céline Le Bourdais, professeure émérite du département de sociologie de l’Université McGill, affirme que le projet de loi 56 du ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette est « très timide », « coupe la poire en deux » et ne protège pas convenablement les conjoints de fait avec enfants qui ont fait des sacrifices économiques et en paient le prix au moment d’une séparation.

Dominique Goubau, avocat et professeur associé de la faculté de droit de l’Université Laval, estime pour sa part que le projet de loi de Québec contient des « paradoxes » qui pourraient à nouveau être contestés devant les tribunaux, comme dans la cause d’Éric c. Lola qui s’est terminée avec un jugement très serré du plus haut tribunal du pays, en 2013.

Pour sa part, le professeur titulaire de la faculté de droit de l’Université de Montréal et expert du droit de la famille Alain Roy, qui a présidé le comité ayant remis son rapport au gouvernement Couillard en 2015, a décliné toutes les demandes d’entrevue cette semaine. Par courriel, celui qui a été ces dernières années conseiller spécial du ministre sur le projet de réforme du droit de la famille a écrit qu’il est « extrêmement heureux et très fier de cette nouvelle étape » et qu’il « lève [son] chapeau au ministre Jolin-Barrette, sans lequel nous n’en serions pas là aujourd’hui ».

La pension alimentaire

Selon MGoubau, qui affirme avoir entendu beaucoup de personnes dire que la réforme présentée mercredi est audacieuse, « l’audacieux ministre a fait un bien timide pas en avant ».

« Ce projet de loi entend répondre à ce que la Cour suprême avait écrit dans l’affaire d’Éric c. Lola, où on avait compris que le Code civil était fragile et que le traitement différencié des conjoints de fait comparativement aux conjoints mariés avait quelque chose de problématique. Plus de dix ans après, voilà qu’on répond à cette problématique par un statut que l’on donne aux parents non mariés qui se différencie de façon très importante du statut des parents qui sont mariés. Je vois là un paradoxe important, voire une porte ouverte à une contestation de certains aspects du projet de loi », juge-t-il.

Avec le projet de loi 56, Québec entend créer un régime d’union parentale qui entrerait automatiquement en vigueur dès l’arrivée d’un enfant dans la vie de deux conjoints de fait. Les parents non mariés détiendraient alors un patrimoine familial commun constitué de la résidence familiale, de son mobilier et des voitures servant à l’usage de la famille. En cas de séparation, les biens inclus dans ce patrimoine seraient partagés entre les conjoints.

Le grand absent, selon Dominique Goubau, est la possibilité pour un conjoint de fait de réclamer une pension alimentaire.

« C’était le point le plus fragile sur lequel [la Cour suprême] jugeait que le Code civil est discriminatoire, mais que le Québec pouvait maintenir [ce caractère distinct] dans le cadre d’une société libre et démocratique », rappelle-t-il.

« Tous les observateurs sont d’accord pour dire que la Cour suprême a mis le doigt sur le point le plus fragile de la législation québécoise. Or, le projet de loi ne prévoit pas de pension alimentaire entre conjoints de fait, même s’il y a des enfants. Je pense que c’est une des grandes déceptions », a-t-il ajouté.

La prestation compensatoire

Céline Le Bourdais déplore pour sa part que le projet de loi 56 ne prévoie pas l’établissement d’une « prestation compensatoire parentale », comme le proposait le comité Roy. Pour calculer cette prestation, a-t-elle expliqué, il s’agit de prendre tous les revenus perdus ou toutes les pertes d’opportunité qu’un parent a accumulés pendant son union libre, après la naissance d’un enfant, et d’estimer le montant perdu au moment de la séparation et qui risque de continuer dans les prochaines années.

« Je conçois que c’est un peu compliqué, mais ça prend en compte le fait que lorsqu’il y a un enfant, il y a un parent qui peut arrêter de travailler, travailler à temps partiel ou refuser des promotions qui lui donneraient autrement de meilleurs revenus », a dit Mme Le Bourdais.

Dans le projet de loi, M. Jolin-Barrette prévoit accorder « aux conjoints [de fait], après la fin de l’union parentale, le droit de faire une demande de prestation compensatoire au tribunal s’ils estiment s’être appauvris après avoir contribué à l’enrichissement du patrimoine de l’autre conjoint ». Le montant de la compensation serait alors calculé « en fonction de la valeur marchande des biens et des services reçus ».

La professeure émérite de l’Université McGill explique que ce type de prestation compensatoire existe déjà, « mais [que] les seules fois où elle a été appliquée en cour, c’est lorsqu’un conjoint a participé à l’entreprise de l’autre personne avec qui elle formait une union libre, sans être payée, et qu’elle a donc directement contribué à son enrichissement en ce sens ».

« Quand j’ai contribué en prenant soin de l’enfant, est-ce que j’ai contribué directement à son enrichissement ? Dans la plupart des cas, ce n’était pas admis [en cour] », a-t-elle ajouté.