(Ottawa) Darren Anthony, l’un des deux associés GC Strategies, a admis ne pas avoir lu le rapport de la vérificatrice générale sur les dépassements de coût d’ArriveCAN même s’il conteste ses chiffres. Et il n’a pas l’intention de le lire. La firme est au cœur du fiasco financier entourant l’application déployée durant la pandémie. Karen Hogan a estimé GC Strategies avait obtenu 19,1 millions de dollars de contrats, soit le tiers de l’argent dépensé.

« Mon incapacité à répondre ne devrait pas être interprétée comme si je refusais de répondre aux questions », a-t-il mis les députés en garde d’entrée de jeu. Il a ajouté qu’il n’était pas directement impliqué dans les contrats touchant l’application ArriveCAN.

Tout au long de son témoignage, les réponses de M. Anthony ont semé l’incrédulité et même suscité des rires parmi les députés du comité des opérations gouvernementales jeudi. C’est la première fois qu’il répondait aux questions des élus même s’il avait déjà été convoqué à deux autres reprises depuis 2022. Il avait toujours laissé son associé, Kristian Firth, répondre aux questions.

« La vérificatrice générale du Canada a examiné des contrats octroyés à l’entreprise dont vous êtes copropriétaire et vous n’avez pas lu le rapport », lui a demandé avec étonnement le député néo-démocrate Taylor Bachrach.

Il a rappelé que GC Strategies « se retrouve sous les projecteurs pour avoir potentiellement commis de graves erreurs » et que tous ses contrats avec le gouvernement ont été suspendus alors que deux rapports, celui de la vérificatrice générale et celui de l’ombudsman de l’approvisionnement, ont sonné l’alarme sur ses pratiques corporatives.

« Et vous n’avez même pas lu ces rapports », a-t-il demandé à nouveau.

« C’est exact », a répondu M. Anthony qui témoignait par vidéoconférence.

Un peu plus tard, il a donné pour explication que son médecin lui avait interdit de travailler depuis le début du mois de décembre afin de réduire son stress.

Son associé, Kristian Firth, avait soutenu dans son témoignage la veille que le rapport déposé au Parlement le mois dernier par la vérificatrice générale, Karen Hogan, est erroné. Il a affirmé que son entreprise a été payée 11 millions afin de recruter des développeurs pour élaborer l’application ArriveCAN et non 19,1 millions, comme elle l’a écrit.

M. Anthony s’en est remis entièrement à la version de M. Firth et a répété qu’il n’était pas responsable des contrats conclus avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) même s’il a partagé la moitié des profits qui s’élèvent à 2,5 millions. Il n’a pas voulu révéler combien d’argent il avait gagné personnellement avec le projet d’ArriveCAN ni combien il avait empoché grâce aux autres contrats du gouvernement obtenus par sa compagnie depuis 2015.

Il s’est décrit à la fois comme vice-président et chef de la sécurité pour GC Strategies. Son rôle s’est limité à s’assurer que les sous-traitants fournissent la documentation nécessaire pour obtenir la cote de sécurité requise par le gouvernement fédéral pour travailler sur ArriveCAN, a-t-il soutenu.

« Un nuage de soupçons pèse sur M. Firth », lui a rappelé le député conservateur Garnett Genuis.

« Je suis sûr qu’il n’a rien fait de mal et que toute enquête indépendante va le démontrer », a-t-il répondu en lisant une déclaration. Les deux hommes se connaissent depuis 2007 et sont en affaires en semble depuis 2015.

« C’est complètement ridicule, s’est esclaffé le député Genuis. Vous avez été forcé de comparaître sinon vous auriez été arrêté par le sergent d’armes et vous nous dites que vous vous êtes préparé pendant deux heures, que vous n’avez pas lu le rapport de la vérificatrice générale et vous soutenez tout ce que M. Firth vous dit même si vous n’avez potentiellement pas été impliqué dans des évènements qui pourraient mener à des accusations criminelles ? »

Darren Anthony n’a pas répondu. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a ouvert une enquête sur d’autres allégations avancées par la firme montréalaise Botler AI dans le cadre d’un autre projet antérieur à ArriveCAN.

« Je ne sais pas », est une réplique qu’il a servie à de nombreuses reprises tout au long de son témoignage. Il peinait souvent à répondre aux questions des élus en indiquant ne pas avoir la réponse. Par exemple, il n’était pas en mesure d’indiquer combien d’heures de travail il avait effectuées pour obtenir les cotes de sécurité des sous-traitants pour ArriveCAN.

Le bureau de la vérificatrice générale a indiqué à La Presse jeudi qu’elle maintient son estimation de 19,1 millions de contrats pour GC Strategies. Les coûts d’ArriveCAN ont été évalués « à l’aide du système financier de l’ASFC, des documents contractuels et d’autres éléments probants », a rappelé sa porte-parole Natasha Leduc.

M. Anthony a affirmé qu’il n’allait pas lire ce rapport « parce que le mal est déjà fait » dans son cas. Il a dit vivre une période difficile. « Mes revenus du secteur privé ont été réduits à néant, a-t-il constaté. Cela aura un impact irréparable sur mon avenir et celui de ma famille. Une carrière que j’ai mis 20 ans à bâtir a été ruinée. » Plus tard lors de son témoignage, il a dit qu’il ne savait pas encore s’il allait en appeler de la décision du gouvernement de retirer la cote de sécurité de GC Strategies, ce qui l’empêche désormais d’obtenir d’autres contrats fédéraux.