(Ottawa) L’absence de vols commerciaux ainsi que l’insécurité persistante dans les rues de Port-au-Prince ont amené le Canada à y réduire sa présence diplomatique. Cela ne diminue cependant en rien l’appui d’Ottawa à la transition en cours en Haïti, assure le chef de mission canadien dans la capitale haïtienne, André François Giroux.

La décision du gouvernement canadien survient quelques jours après la démission du premier ministre Ariel Henry, et alors que le calme enveloppé d’incertitude ayant succédé à ce départ a fait place à un prévisible regain de tension.

« Mais bon, en Haïti, il faut toujours remettre ça en perspective. Qu’il y ait des fusillades dans un quartier ici et là, ce n’est pas nécessairement exceptionnel. Ce sont des choses qui se passent au quotidien », fait valoir l’ambassadeur André François Giroux, en poste depuis l’automne dernier.

Ce n’est donc pas la raison pour laquelle des employés de l’ambassade ont été temporairement réaffectés en République dominicaine, indique-t-il : « le premier facteur, c’est qu’il n’y a pas de vols commerciaux en ce moment, car l’aéroport est fermé depuis 10 jours », et on ignore quand la situation reviendra à la normale.

D’autre part, il a été jugé souhaitable que le personnel diplomatique travaille dans un lieu plus sûr, où il n’a pas à se soucier de l’approvisionnement en eau ou en nourriture, enchaîne-t-il. « C’est loin d’être un désaveu », dit M. Giroux en entrevue téléphonique.

Les employés ont été transportés jeudi matin à bord d’un hélicoptère nolisé, a expliqué Sébastien Beaulieu, directeur général de la sécurité chez Affaires mondiales Canada, lors d’une séance d’information. Il n’a pas voulu dire si, à l’instar de Washington, Ottawa a déployé des soldats pour protéger son ambassade.

Pas d’opération de rapatriement en vue

Le gouvernement canadien recommande depuis plus d’un an d’éviter tout voyage dans l’île des Caraïbes « en raison de la menace que représentent les enlèvements, la violence reliée aux gangs et les possibles troubles civils dans l’ensemble du pays ».

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Soldats aux abords de l’aéroport de Port-au-Prince, mercredi

À ceux qui y sont, Ottawa conseille de « se mettre à l’abri sur place, faire le plein de produits de première nécessité (nourriture, eau et médicaments) » et de « limiter leurs déplacements ».

Environ 2930 Canadiens se trouvent actuellement en Haïti, selon les registres d’Affaires mondiales Canada.

Une opération de rapatriement n’est pas dans les cartons à l’heure actuelle, mais « on a toujours des plans en développement », a affirmé Sébastien Beaulieu, d’Affaires mondiales Canada.

L’ambassadeur André François Giroux confirme. En même temps, il tient à souligner que la crise en Haïti ne date pas d’hier, et les recommandations gouvernementales non plus. « Ce qu’on peut déduire de ça, c’est que les gens qui sont ici sont ici en connaissance de cause », plaide-t-il.

En l’absence de l’option aérienne, les possibilités de quitter l’île « sont quasi inexistantes », fait-il remarquer. Cela dit, « on a très peu d’appels » – 89 depuis le 3 mars dernier – et très peu de personnes ont demandé une assistance au départ, soutient l’ambassadeur.

« C’est encore gérable », évalue-t-il.

Élections : irréaliste avant un an et demi

Les prochains mois ne seront pas de tout repos. Si le départ annoncé du premier ministre Ariel Henry a été salué par la Communauté des Caraïbes (CARICOM), la suite demeure imprévisible en raison de l’emprise des gangs dans plusieurs secteurs de la capitale.

Les groupes criminels devront être matés par la police nationale haïtienne exsangue, que le gouvernement canadien aide financièrement et logistiquement à se reconstruire. La mission militaire internationale dirigée par le Kenya sera aussi cruciale pour reprendre le contrôle de la situation.

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Le premier ministre démissionnaire Ariel Henry

Dans la foulée de la démission d’Ariel Henry, le Kenya a annoncé la suspension de l’envoi de ses quelque 1000 policiers. Il n’y a là rien d’inquiétant, d’après l’ambassadeur du Canada. « Déployer la mission en période de transition de leadership n’était pas idéal, alors c’est tout à fait compréhensible », juge-t-il.

Normalement, ce déploiement s’effectuera lorsque le conseil de transition prendra le pouvoir en Haïti, ce qui surviendra… on ne sait trop quand. Ce que les experts s’entendent pour dire, en revanche, c’est que « ce n’est pas réaliste de penser à des élections avant 18 mois », estime le diplomate canadien.

La recette Bukele non exportable

Et dans l’intervalle, la mission multilatérale chapeautée par les Nations unies permettra d’éviter des dérives autoritaires comme celle observée au Salvador. Dans le petit pays d’Amérique centrale, le président Nayib Bukele a emprisonné des dizaines de milliers de présumés membres de gangs.

Il a d’ailleurs proposé à Haïti de calquer son approche sur la sienne. « Tous les “experts” disaient qu’ils ne pouvaient être vaincus, car ils étaient une “partie intrinsèque de notre société”. Ils avaient tort. Nous les avons oblitérés. La même chose doit être faite en Haïti », a-t-il écrit dimanche dernier sur X.

Sans commenter directement la proposition de l’autoproclamé « dictateur le plus cool du monde », André François Giroux, argue que « l’une des considérations de la mission autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU est le respect des droits humains fondamentaux ».