Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, promet d’interdire les chargeurs d’armes à feu à haute capacité « qui peuvent facilement être altérés avec un tournevis dans son sous-sol ». Les fabricants d’armes à feu n’auront tout simplement plus le droit de les vendre, et ceux qui en possèdent devront s’en départir, précise le ministre en entrevue à La Presse.

Ce qu’il faut savoir

Le gouvernement Trudeau, qui souhaite renforcer le contrôle des armes avec son projet de loi C-21, promet d’interdire les chargeurs haute capacité facilement altérables.

Les manufacturiers auront de « nouvelles obligations » les empêchant de vendre des chargeurs de 20 ou 30 balles limités à 5 balles par un dispositif rudimentaire.

Le gouvernement n’a pas l’intention de permettre aux propriétaires actuels de conserver de tels chargeurs après l’adoption de son nouveau cadre réglementaire.

« Ça va devenir une offense criminelle d’être en possession, ou de vendre, ou de trafiquer un chargeur à haute capacité qui peut facilement être altéré ou changé », souligne le ministre, en réaction à une enquête de La Presse sur les ventes illégales d’armes entre particuliers.

« On va aussi appliquer aux manufacturiers d’armes des obligations pour s’assurer qu’on ne puisse pas facilement altérer un chargeur à haute capacité. »

Dans le cadre d’une enquête publiée il y a deux semaines, nous avons acquis une arme à feu de type militaire sur un groupe Facebook (aujourd’hui fermé) qui vendait des armes grâce à un langage codé, et désactivé en 8 secondes le mécanisme d’un chargeur haute capacité le limitant à cinq balles. La modification, qui n’a nécessité aucun outillage sophistiqué, nous a permis d’insérer 30 cartouches dans le chargeur, à des fins de démonstration. Nous avons immédiatement réinstallé un dispositif le limitant à cinq balles, et avons cédé l’arme à feu au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour destruction.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Ces trois chargeurs sont limités à cinq balles par un mécanisme rudimentaire, qu’il est possible de désactiver en 8 secondes.

C’est exactement la même procédure utilisée par Richard Bain pour commettre son attentat du Metropolis, en septembre 2012, avec un chargeur prohibé de 30 balles modifié quelques minutes avant son passage à l’acte.

En vertu du Code criminel, il est strictement interdit pour quiconque, à l’exception des forces de l’ordre et de l’armée, de posséder un chargeur de plus de cinq cartouches pour la plupart des armes longues semi-automatiques. Le règlement actuel permet toutefois aux fabricants d’armes à feu de vendre des chargeurs conçus initialement pour contenir 20 ou 30 balles, pourvu qu’ils en limitent la capacité à 5 balles grâce à ce mécanisme de contrôle rudimentaire controversé, qui est dans la ligne de mire d’Ottawa.

Pas de clause « grand-père »

Le ministre LeBlanc souhaite faire adopter « dans les prochaines semaines » le projet de loi C-21, renforçant le contrôle des armes à feu, dont les règlements qui s’attaqueront spécifiquement aux « failles » des chargeurs haute capacité.

Les gens qui trouvent ça drôle d’aller dans leur sous-sol, avec un tournevis, pour altérer un chargeur, vont faire face à des pénalités criminelles importantes.

Dominic LeBlanc, ministre fédéral de la Sécurité publique

Aucune clause « grand-père » ne devrait permettre aux propriétaires actuels de ces chargeurs de les conserver. « Ce n’est pas dans notre intention de laisser les gens être en possession des chargeurs à haute capacité », indique M. LeBlanc, tout en précisant que cette question fera partie de discussions avec les corps de police.

Le projet de loi vise plus largement à interdire les armes de type militaire qui ne sont pas utilisées pour la chasse. « Quand on va à la chasse à l’orignal, on ne va pas faire la guerre aux orignaux », illustre le ministre.

« Ce qu’on veut, c’est faire en sorte qu’il n’y ait pas d’échappatoire » permettant aux propriétaires d’armes et à l’industrie de « faire indirectement ce qu’ils ne peuvent pas faire directement ».

PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Dominic LeBlanc, ministre fédéral de la Sécurité publique

« Je ne suis pas intimidé par l’industrie »

La nouvelle réglementation risque de se heurter à une forte résistance de certains propriétaires d’armes à feu et des fabricants d’armes. Un très grand nombre d’armes de type militaire importées des États-Unis sont livrées d’emblée avec des chargeurs de 30 balles modifiés, devenus la norme pour certaines plateformes comme l’AR-15.

« Je ne suis pas intimidé par l’industrie américaine des armes à feu, lance le ministre. Nous n’avons pas la même Constitution américaine qui donne le droit de porter des armes. Si vous êtes une grosse compagnie internationale qui vend des armes, je ne pense pas que suivre la loi criminelle d’un pays est une option », dit-il.

Le ministre LeBlanc promet par ailleurs davantage de ressources aux forces policières pour faire respecter la réglementation. Notre enquête a révélé qu’à peine 6000 ventes d’armes à feu non restreintes entre particuliers au Québec ont fait l’objet d’une vérification obligatoire de validité du Permis de possession et d’acquisition par la Gendarmerie royale du Canada depuis 2022, alors que le nombre de transactions se situe entre 25 000 et 35 000 par année. « Avec l’adoption du projet de loi C-21, nous allons ajouter des ressources supplémentaires pour appliquer les mesures de façon accrue, avec les partenaires que sont la Sûreté du Québec et les corps policiers municipaux », annonce M. LeBlanc.

Ce texte a été modifié pour préciser que l’interdiction de posséder un chargeur de plus de cinq balles s’applique à la plupart des armes longues semi-automatiques, et non à toutes les armes longues.

Québec communiquera avec les champs de tir

Le ministre québécois de la Sécurité publique, François Bonnardel, s’est pour sa part engagé à communiquer avec les champs de tir de la province pour leur rappeler leur obligation de tenir un registre de fréquentation incluant le numéro de série ou d’enregistrement des armes non restreintes utilisées par les tireurs lors de chaque séance. Deux champs de tir que nous avons visités dans le cadre de notre enquête n’ont pas respecté cette obligation légale. « On se prépare à faire un rappel auprès des propriétaires et opérateurs de champs de tir au Québec sur leurs obligations légales. Il est important qu’ils appliquent la réglementation en vigueur pour la sécurité des Québécois », a commenté le ministre, en réaction à nos constats.