Le ministre Pablo Rodriguez déplore l’attitude et les « menaces » de Meta.

Dans son combat contre les géants du web s’apparentant à celui de David contre Goliath, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a l’impression de se mesurer à deux colosses dont l’attitude est diamétralement opposée. Dans un coin, Google et son « gros bon sens », dans l’autre, Meta et ses « menaces ».

« Au moment où on se parle, il y a une différence nette », constate-t-il.

Car contrairement à Google, avec qui le ministre dit avoir eu la semaine dernière « une rencontre très constructive » lors de laquelle « des propositions précises », « basées sur le gros bon sens », ont été discutées, Meta n’a « pas donné de nouvelles » et « multiplie les menaces », regrette-t-il en entrevue.

Les dernières nouvelles de la société mère de Facebook, Instagram et WhatsApp ont été publiées en réaction à l’adoption, par le Sénat, du projet de loi C-18, jeudi passé. « Nous confirmons que la disponibilité des nouvelles sur Facebook et Instagram sera terminée pour tous les utilisateurs au Canada », a alors écrit l’entreprise sur son blogue.

Les quelque 24 millions d’abonnés de Meta au pays n’en voient pas encore tous l’impact : les « tests aléatoires » qui ont commencé au début du mois de juin touchent de 240 000 à 1,2 million d’utilisateurs, selon la multinationale.

Mais le robinet se fermera « avant l’entrée en vigueur » de la loi, avertit l’entreprise de Mark Zuckerberg. Le processus réglementaire devrait être terminé d’ici six mois. Et dans cette bataille à finir, le ministre Rodriguez n’entrevoit aucune autre issue qu’une victoire du gouvernement canadien.

D’abord, « parce que je n’ai jamais pris une décision basée sur la menace, et je ne le ferai jamais », ensuite, car « aucune compagnie n’est au-dessus de la loi », et enfin, parce que Meta semble vouloir utiliser le Canada comme exemple pour refroidir les autres pays qui seraient tentés de l’imiter, énumère-t-il.

Le Canada, cobaye et fer de lance

C’est que des nations comme les États-Unis, la France et l’Allemagne « s’en vont dans la même direction », souligne Pablo Rodriguez.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien

Si Facebook se retire des nouvelles chez nous, il va falloir qu’il le fasse éventuellement [dans ces pays également]. Est-ce que Facebook va faire des menaces à la planète entière et se retirer partout ?

Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien

Avant de faire le coup au Canada, d’ailleurs, Meta l’avait fait à l’Australie, en février 2021. Le partage de contenus d’actualité avait été barré afin de protester contre un projet de loi que Canberra s’apprêtait à adopter. Le geste de l’entreprise avait suscité la colère, les citoyens ne pouvant s’informer sur la COVID-19 ou les incendies de forêt qui faisaient rage.

Ici, des politiciens de tous les horizons politiques, sauf les conservateurs à Ottawa, et des patrons de presse ont fustigé Meta. Cet opprobre pourrait-il faire reculer l’entreprise ? « C’est une décision qui leur appartient, lâche le ministre. Moi, je suis à la table, je suis prêt à m’asseoir avec eux, à discuter avec eux. »

Ce qu’il a fait avec des représentants américains de Google – le géant numérique avait effectué l’hiver dernier des tests pour bloquer à des utilisateurs canadiens l’accès à du contenu de nouvelles, avant de finalement se raviser. « Ils voulaient plus de certitude, plus de clarté, ce qui est normal », expose Pablo Rodriguez.

La loi contraint les géants du web à conclure des ententes de partage de revenus avec les médias dont le contenu est republié sur leurs plateformes.

Les entreprises de nouvelles canadiennes se partageraient des indemnités annuelles d’environ 329,2 millions en vertu des dispositions législatives, selon un rapport publié en octobre dernier par le directeur parlementaire du budget.

De son côté, Meta évalue que le flux de Facebook a généré plus de 1,9 milliard de clics entre mars 2021 et avril 2022, ce qui « représente un marketing gratuit » dont la société de Silicon Valley estime la valeur « à plus de 230 millions de dollars », d’après ce qu’a dit l’un de ses représentants devant un comité des Communes en mai dernier.

Meta campée sur ses positions

Chez Meta, on ne s’en cache pas : oui, on boude les réunions avec le ministre. On n’y voit pas l’utilité, le cadre législatif étant déjà établi.

Le processus réglementaire ne pourrait pas apporter des changements aux éléments fondamentaux du projet de loi qui ont toujours posé problème.

Lisa Laventure, porte-parole de Meta

« Nous prévoyons mettre fin à la disponibilité des nouvelles une fois nos tests terminés et nous croyons que nous avons une solution de produit efficace pour mettre fin à la disponibilité des nouvelles au Canada », ajoute la porte-parole de Meta, sans fournir de date butoir putative en ce sens.

La loi pourrait aussi signer l’arrêt de mort des ententes conclues entre Meta et certains médias pour financer la production de nouvelles, a prévenu mardi sur les ondes de CBC la responsable des politiques publiques de Meta, Rachel Curran. « La réalité […] est qu’il n’y a probablement pas beaucoup d’avenir en ce qui a trait à ces ententes », a-t-elle dit.

L’histoire jusqu’ici

Avril 2022

Le gouvernement fédéral dépose le projet de loi C-18 visant à forcer les géants du web à conclure des ententes de rétribution avec les médias dont ils publient le contenu.

Mars 2023

Google fait marche arrière après avoir bloqué à environ 4 % des utilisateurs au Canada l’accès à des sites de nouvelles, à la fin de février.

Juin 2023

Le projet de loi C-18 est adopté au Sénat et obtient la sanction royale. Meta annonce peu après que le contenu des médias sera bloqué pour ses 24 millions d’utilisateurs de Facebook et Instagram au pays.