Retour sur les 12 derniers mois de la diplomatie canadienne avec la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly

(Ottawa) Le Canada sera prêt dans l’éventualité où l’ancien président des États-Unis Donald Trump confond de nouveau les sceptiques et remporte l’élection présidentielle de novembre 2024.

Ce qu’il faut savoir

Le gouvernement Trudeau a l’obligation de se préparer à un retour de Donald Trump à la tête des États-Unis, selon Mélanie Joly.

Les lignes de faille de la géopolitique internationale se sont accentuées avec la guerre en Ukraine, estime la ministre des Affaires étrangères.

La diplomatie canadienne se tourne vers l’Asie, avec qui elle souhaite avoir des liens aussi étroits que ceux qu’elle entretient avec l’Europe.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a soutenu dans une entrevue accordée à La Presse que le gouvernement Trudeau avait l’obligation de se préparer à un tel scénario afin de ne pas être pris de court s’il devait se matérialiser.

Entre autres choses, Mme Joly compte se rendre à Washington sous peu afin de rencontrer des élus républicains et démocrates. Il faut d’ores et déjà resserrer les liens avec les membres du Congrès. Elle compte aussi rencontrer des gouverneurs qui sont à la tête d’États clés.

L’idée de rétablir une sorte d’Équipe Canada regroupant les premiers ministres des provinces, les maires des grandes villes, les regroupements de gens d’affaires et les syndicats afin de défendre les intérêts du Canada auprès des Américains, comme cela a été le cas durant les quatre années tumultueuses de Donald Trump à la Maison-Blanche, est aussi envisagée.

Le Canada n’est d’ailleurs pas le seul pays à se préparer à la possibilité d’un tel scénario, a assuré la cheffe de la diplomatie canadienne. Des pays européens le font également, a-t-elle souligné, s’appuyant sur les récents échanges qu’elle a eus avec certains de ses homologues du Vieux Continent.

« Oui, c’est sûr qu’il faut se préparer à cette possibilité », a affirmé la ministre Mélanie Joly durant l’entrevue qui a permis de faire le bilan des 12 derniers mois de la diplomatie canadienne.

« C’est important de s’y préparer. Dans les prochains mois, je vais vraiment prioriser la relation avec les États-Unis. C’est évident qu’on va s’adapter à l’administration qui sera élue », a-t-elle ajouté.

Le résultat de l’élection présidentielle va avoir un impact certainement sur la relation avec le Canada, mais aussi sur la relation que vont avoir les États-Unis avec le reste du monde. C’est aussi une conversation que j’ai avec mes collègues à travers le monde.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Durant le règne tumultueux du président Trump, le gouvernement Trudeau a dû travailler d’arrache-pied afin de préserver les grands pans de l’Accord de libre-échange nord-américain devant les velléités protectionnistes de son administration. Un nouvel accord, connu sous le nom de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, a été conclu au terme de plusieurs mois de négociations difficiles.

« Élection importante »

Par la suite, le gouvernement Trudeau a pu établir rapidement « une très bonne relation » avec l’administration Biden à Washington dès son arrivée au pouvoir en janvier 2021. Le président a d’ailleurs fait une première visite officielle au Canada en mars – une visite qui a débouché sur la signature de plusieurs ententes bilatérales, notamment dans les dossiers de la transition énergétique, de la fabrication de semi-conducteurs et la fermeture du chemin Roxham.

Justin Trudeau s’est déjà félicité de la décision de Joe Biden de briguer de nouveau les suffrages à l’élection présidentielle. Mais une victoire du président démocrate est loin d’être certaine, malgré les déboires judiciaires de Donald Trump, qui est largement favori pour remporter les primaires républicaines.

« Ce sera une élection importante pour les États-Unis », a souligné Mme Joly. Dans l’intervalle, la ministre des Affaires étrangères soutient que le Canada ne veut pas être un gérant d’estrade.

« La guerre en Ukraine a mis en lumière des lignes de faille de la géopolitique internationale. Ces lignes de faille se sont agrandies. Nous devons donc défendre les intérêts du Canada dans un monde qui fait face à de profonds bouleversements sans compromettre nos valeurs. Pour y arriver, il faut augmenter l’influence du Canada. C’est sur cela que je me suis concentrée en tant que responsable de la diplomatie canadienne », a fait valoir la ministre.

Europe et Asie

Ces bouleversements ont mené à un resserrement des liens entre le Canada et l’Union européenne. « Plus que jamais, on est proches de l’Europe », a dit Mme Joly. Ils ont aussi mené à un effort de concertation entre le Canada et les États-Unis, non seulement sur la guerre en Ukraine, mais aussi sur l’influence grandissante de la Chine et la crise qui secoue toujours Haïti.

Enfin, ils ont alimenté la réflexion qui a mené à l’adoption d’une stratégie indopacifique. La ministre a d’ailleurs multiplié les visites au Japon et en Corée du Sud dans le cadre de cette stratégie « pour renforcer les liens avec ces deux pays ». « On devrait être aussi proches du Japon et de la Corée qu’on l’est de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne », a soutenu la ministre pour illustrer les ambitions diplomatiques du Canada à l’égard de ces deux pays de l’Asie.

« Le monde a changé en un an. C’est vraiment important que l’on investisse dans notre diplomatie », estime-t-elle.

Au niveau multilatéral, on ne veut pas être des gérants d’estrade. On veut participer activement aux travaux de l’ONU. C’est pour cette raison que j’ai lancé la campagne pour obtenir un siège au conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Disposant d’un budget plus imposant – 2,3 milliards de dollars de plus seront notamment injectés dans la stratégie indopacifique au cours des cinq prochaines années –, la ministre a souligné que le Canada avait ouvert six nouvelles ambassades au cours des derniers mois, soit en Estonie, en Lituanie, en Slovaquie, en Arménie, au Rwanda et dans les îles Fidji.

« La diplomatie fait partie de notre architecture de sécurité. Quand tu investis en diplomatie dans un contexte de crise internationale, c’est comme investir dans la prévention pour le système de santé. Et la diplomatie, ce n’est pas juste parler à tes amis. La diplomatie, c’est aussi parler à des pays avec lesquels tu n’es pas toujours d’accord, mais qui croient aussi qu’il faut respecter les frontières de l’un et de l’autre », a dit Mme Joly en faisant notamment allusion à la Chine.