(Ottawa) Le chef conservateur Pierre Poilievre demande la démission du ministre de la Sécurité publique Marco Mendicino pour sa gestion du dossier du transfert du tueur et violeur en série Paul Bernardo vers un pénitencier à sécurité moyenne. Sur la sellette, le ministre jure qu’il n’a rien su avant le lendemain du transfert, et signale qu’il annoncera de nouvelles directives à l’intention de Service correctionnel du Canada.

« Le Parti conservateur revendique la démission de Marco Mendicino pour avoir menti », a tranché le leader conservateur à son arrivée à la rencontre du caucus de son parti, mercredi matin.

S’il accuse le ministre d’avoir menti, c’est que son bureau aurait été informé par le Service correctionnel du Canada (SCC) du transfert à venir le 2 mars, puis le 25 mai, avec cette fois un avis que le transfert était à venir dans quatre jours, d’après ce qu’a rapporté CBC mardi soir.

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Pierre Poilievre

Le ministre Mendicino en aurait seulement été informé le 30 mai, soit le lendemain du transfert, selon ce qu’a affirmé son attachée de presse à CBC.

Trois jours plus tard, le 2 juin, il réagissait avec force à la décision du SCC, la qualifiant de « choquante » et d’« incompréhensible ». Il a ensuite communiqué avec la commissaire de l’organisation, Anne Kelly, afin de lui demander de réviser la décision.

« Elle m’a informé que le SCC a ordonné un examen de sa classification pour s’assurer que les victimes soient prises en compte de manière adéquate et appropriée et fondée sur des preuves. J’attends les résultats de cet examen et je veillerai à ce qu’il soit mené rapidement », a-t-il écrit le 5 juin sur Twitter.

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Paul Bernardo (au centre)

Mais aux yeux de Pierre Poilievre, le ministre Mendicino a menti en prétextant la surprise. Et la présumée tromperie sur le transfert de Paul Bernardo s’ajoute à une trop longue liste, après des propos sur le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, les armes de chasse et les soi-disant postes de police chinois.

« C’est un mensonge de trop. Il est temps pour Marco Mendicino de démissionner », a-t-il laissé tomber.

Trudeau reste flou

De passage à Bagotville, Justin Trudeau n’a pas voulu se prononcer sur la requête de Pierre Poilievre.

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Justin Trudeau

Il n’a toutefois pas nié que des améliorations devaient être apportées sur le plan des communications au sein des ministères, brandissant en guise de preuve les défaillances identifiées à ce sujet dans le rapport déposé par le rapporteur spécial sur l’ingérence étrangère, David Johnston.

« Il y a des défis réels [de] communication à l’intérieur de la fonction publique – quelle information se rend dans les bureaux de ministres et comment c’est présenté. C’est du travail qu’on est en train de faire déjà pour améliorer les lignes de communication », a soutenu le premier ministre.

Mendicino se défend

Quelques heures plus tard, à la Chambre des communes, Marco Mendicino n’a manifesté aucune intention de jeter l’éponge. Cuisiné par l’opposition lors de la période des questions, il a juré qu’il n’avait rien su avant le 30 mai, et qu’il avait « corrigé les erreurs à l’interne dans [son] bureau ».

Il a aussi annoncé qu’il allait émettre de nouvelles instructions à l’intention de SCC. Il faudra dorénavant que les familles soient « notifiées avant les décisions de transférer » et que le ministre de la Sécurité publique obtienne un breffage préalablement.

« On va toujours protéger les droits des victimes », a-t-il tranché.

Une « culture de l’ignorance »

Du côté du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique, on n’est pas allé jusqu’à demander la tête du ministre Mendicino. En revanche, on voit en cette affaire un nouveau symptôme d’un mal libéral : la « culture de l’ignorance », comme l’a diagnostiqué le chef bloquiste Yves-François Blanchet.

« À chaque fois qu’on veut se défendre de quelque chose, on dit : “Je ne sais pas, on ne m’en a pas informé” […] Ça vient avec le très mauvais réflexe de s’en prendre à la fonction publique […] et c’est une défense qu’on ne croit plus », a lancé M. Blanchet.

Son vis-à-vis néo-démocrate, Jagmeet Singh, a abondé dans le même sens et argué qu’il serait trop simple de procéder à un remaniement ministériel. « Dégommer un ministre n’est pas la solution. C’est le gouvernement qui doit être imputable et qui doit faire le ménage », a-t-il fait valoir.

Onde de choc

Paul Bernardo est incarcéré depuis 1993 et purge une peine d’emprisonnement de durée indéterminée et à perpétuité pour l’enlèvement, la torture et les meurtres de Kristen French, 15 ans, et de Leslie Mahaffy, 14 ans, qui ont eu lieu au début des années 1990.

Il était jusqu’ici emprisonné à l’établissement à sécurité maximale de Millhaven, près de Kingston en Ontario, mais il vient d’être transféré à l’établissement à sécurité moyenne de La Macaza, dans les Laurentides.

Son transfert a suscité une onde de choc à travers le pays.

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, entre autres, n’a pas mâché ses mots pour exprimer toute son indignation, traitant au passage Paul Bernardo de fils de pute et d’ordure. Il a aussi demandé le congédiement d’Anne Kelly.

Ingérence politique dénoncée

Le cas Bernardo a inspiré à l’Association des avocats carcéralistes progressistes une sortie visant à dénoncer l’ingérence du politique dans la gestion des peines. Selon l’organisation, il est inadmissible que « sous la menace et les pressions gouvernementales », la commissaire ait ordonné une réévaluation de la décision.

« En aucun cas, le gouvernement ne devrait se mêler de la gestion des établissements et encore moins sur la place publique. L’indépendance du Service correctionnel à titre d’institution décisionnelle et gestionnaire des peines doit être conservée, préservée et défendue », a insisté l’Association dans un communiqué.

Avec La Presse Canadienne