(Ottawa) Le rapporteur spécial sur l’ingérence étrangère, David Johnston, l’a dit d’un ton calme, mais déterminé : s’il a entendu les critiques entourant les recommandations de son rapport et les « allégations » sur son impartialité, on ne l’empêchera pas pour autant de finir son travail.

L’ancien gouverneur général du Canada savait pertinemment qu’il se ferait étriller pendant sa comparution de trois heures devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, mardi. Ainsi a-t-il mis la table à la séance en prenant acte de la controverse entourant son premier rapport et sa nomination.

« J’ai entendu clairement les désaccords concernant ma recommandation de ne pas déclencher une enquête publique, tout comme les allégations entourant mon intégrité et mon indépendance. Ces allégations sont tout simplement fausses. Et la décision de les répéter ne les rend pas vraies », a-t-il lancé en ouverture.

« Je vais continuer d’accueillir les désaccords sur mes recommandations, mais je ne me laisserai pas dissuader de finir mon travail », a plaidé David Johnston auprès des députés du comité qui se penche sur l’enjeu de l’ingérence étrangère.

Il n’a fallu que quelques minutes avant que les échanges ne deviennent acrimonieux.

Premiers à interroger le témoin, les conservateurs sont vite passés à l’attaque en posant des questions sur les liens unissant la famille Johnston et la famille Trudeau, égrenant une série d’affirmations faites à ce sujet par l’ancien gouverneur général sur divers plateaux de télévision.

Ils n’ont pas manqué de munitions, car à cette récrimination qui revient depuis des semaines sont venues s’en ajouter deux autres. D’abord, l’embauche de la firme Navigator, spécialisée en gestion de crise, pour appuyer le rapporteur, mais aussi, celle de l’avocate Sheila Block à titre de conseillère.

C’est que celle-ci a versé environ 7500 $ en dons au Parti libéral du Canada entre 2006 et 2022, et elle a par ailleurs participé à un évènement de financement virtuel avec Justin Trudeau en mars 2021, tel que l’a écrit le Globe and Mail dans son édition du mardi.

« Les qualifications de Mme Block à titre de personne réfléchie et impartiale de grande intégrité sont connues à travers ce pays », a justifié David Johnston, se défendant par la suite de faire partie d’une « clique libérale » en réponse à des commentaires de la conservatrice Raquel Dancho.

Pas l’intention de démissionner

L’apparition de David Johnston survient un peu moins d’une semaine après l’adoption d’une motion néo-démocrate réclamant qu’il se retire de ses fonctions. « J’ai un profond respect pour la Chambre des communes et à son droit d’exprimer une opinion sur mon travail », a-t-il assuré.

La motion avalisée à 174 voix contre 150 demandait aussi, encore, au gouvernement Trudeau de déclencher une enquête publique et indépendante sur l’ingérence étrangère dans les élections fédérales de 2019 et de 2021.

Dans un cas comme dans l’autre, David Johnston a réitéré mardi qu’il n’avait pas l’intention d’obtempérer.

Le néo-démocrate Peter Julian a dit avoir du mal à réconcilier le respect que l’ancien gouverneur général a professé pour l’institution et son refus de se plier à sa volonté.

« La raison pour laquelle je reste en poste, c’est que je crois que le vote était fondé sur des allégations qui étaient fausses », a argué l’ancien gouverneur général, qui a été nommé à ce poste par l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper.

Des audiences le mois prochain

S’il n’a pas recommandé l’enquête publique qu’exigent à l’unisson les partis d’opposition, David Johnston a néanmoins tranché en faveur d’audiences publiques. Ces audiences, qu’il pilotera, doivent se mettre en branle le mois prochain.

Car selon lui, « il ne devrait pas y avoir d’enquête publique distincte et il n’est pas nécessaire d’en tenir une », car « une enquête publique portant sur les documents ayant fait l’objet d’une fuite ne pourrait pas être menée en public, compte tenu du degré de sensibilité du renseignement ».

Le député bloquiste Alain Therrien a manifesté son incompréhension par rapport à cette conclusion. Pourquoi a-t-on pu mener une enquête publique sur les affaires Maher Arar et Air India, qui impliquaient l’étude de documents secrets du SCRS, et non pas sur l’ingérence étrangère ?

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alain Therrien

« J’en appelle à votre intelligence […] Quelle est la différence entre ce qui est classifié dans l’ingérence étrangère et le cas de la classification des informations pour Maher Arar ? Pourquoi c’est pire que Maher Arar ? », s’est enquis l’élu du Bloc québécois auprès du témoin.

« C’est l’un des enjeux sur lesquels nous espérons nous pencher en profondeur pendant les audiences […] si nous pouvons déterminer ce qui doit être gardé secret, et ce qui peut être rendu public », lui a répondu David Johnston.

Son interlocuteur y a vu une validation de sa position. « Vous me dites qu’on ne sait pas pourquoi on ne peut pas en avoir, une enquête publique et indépendante. C’est ce que j’ai entendu. […] Vous n’êtes même pas prêt à me dire aujourd’hui qu’on n’en a pas besoin », a conclu Alain Therrien.

Justin Trudeau critique l’opposition

Le premier ministre Trudeau continue à se ranger derrière David Johnston, contre vents et marées.

« Il faut être très, très précis sur ce qui est en train de se passer. Les partis d’opposition, particulièrement le Parti conservateur, ne veut que faire des attaques personnelles non fondées sur cet enjeu d’ingérence étrangère », a-t-il encore reproché mardi matin avant la rencontre du conseil des ministres.

Les élus libéraux qui siègent au comité ont fait écho à ces critiques, Jennifer O’Connell accusant notamment les conservateurs de propager des « théories du complot » sur « des enfants qui jouent ensemble », en faisant référence aux sorties de ski des enfants Johnston et Trudeau.