(Ottawa) Mi-février. Le Globe and Mail révèle le contenu de documents du renseignement canadien faisant état de la « stratégie chinoise » pour influencer les élections fédérales de 2021. Depuis, les allégations du même genre se sont multipliées, les partis de l’opposition ont réclamé une enquête publique et David Johnston a été fait « rapporteur spécial ». Son rapport doit tomber mardi. Retour sur trois mois mouvementés.

Han Dong

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ancien député libéral Han Dong, aujourd’hui indépendant, lors d’un rassemblement politique en mai 2014

Le député d’arrière-ban s’est retrouvé plongé dans la tourmente pour une première fois le 25 février dernier, alors que Global News a rapporté que le Parti communiste chinois aurait manœuvré pour favoriser sa victoire comme candidat à l’investiture du Parti libéral dans sa circonscription de Toronto, et que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aurait dit à l’entourage de Justin Trudeau de révoquer sa candidature à l’élection de 2019. Environ un mois plus tard, même média, autre bombe : il est allégué que Han Dong aurait recommandé à un consul de Chine de retarder la libération des « deux Michael ». Dans un cas comme dans l’autre, l’élu clame son innocence. Il a quitté le caucus libéral et poursuit Global News pour 15 millions.

Michael Chong

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Michael Chong, député conservateur de Wellington–Halton Hills, le 3 mai dernier

Le député conservateur, parrain d’une motion reconnaissant l’existence d’un génocide contre les Ouïghours, a tant irrité le régime chinois que celui-ci a concocté une campagne les visant, lui et des membres de sa famille à Hong Kong. Derrière ce stratagème se cacherait un diplomate chinois du consulat de Toronto, Zhao Wei, qui a été déclaré persona non grata et a quitté le Canada dans la foulée de ces allégations, qui ont remué les parlementaires. Michael Chong figure parmi les 49 députés canadiens qui ont reçu une formation sur l’enjeu de la sécurité nationale du SCRS en juin 2021, mais il dit avoir seulement appris l’implication de Zhao Wei après que le Globe and Mail l’eut révélée dans son numéro du 1er mai dernier.

La Fondation Trudeau

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Manoir où loge la société Aigle d’or du millénaire, présumément derrière le don à la Fondation Trudeau, à Dorval

Victime collatérale selon certains, véhicule d’influence de Pékin pour d’autres, chose certaine, la Fondation Pierre Elliott Trudeau s’est retrouvée sous les feux de la rampe. On savait depuis 2016 qu’un don de 200 000 $ lui avait été promis par le milliardaire chinois Zhang Bin, mais l’histoire a pris un tout autre sens lorsque le Globe and Mail a écrit, sur la foi d’une source de sécurité, qu’avec ce chèque, Pékin cherchait à s’ingérer dans les élections. La complexe opération de remboursement de la contribution de 140 000 $ qui avait finalement été versée, tel que La Presse l’a dévoilé, a fait éclater l’organisme de bienfaisance, avec lequel Justin Trudeau assure n’avoir plus aucun contact depuis 10 ans, ce dont doutent conservateurs et bloquistes.

David Johnston et la partialité

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

David Johnston, ancien gouverneur général du Canada, nommé le 5 mars dernier « rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère », photographié ci-dessus en 2017

Les longs états de service de l’ancien gouverneur général du Canada, professeur de droit émérite, ne l’ont pas immunisé contre les attaques de l’opposition. « C’est le partenaire de ski de Justin Trudeau, son voisin de chalet, un ami de la famille et un membre de la Fondation Trudeau qui a reçu 140 000 $ de Pékin », a persiflé le chef conservateur Pierre Poilievre, jeudi dernier. Il a réitéré sa liste de récriminations alors qu’il expliquait sa décision de refuser de rencontrer David Johnston, contrairement à ce qu’ont fait Yves-François Blanchet et Jagmeet Singh. Le premier ministre s’est engagé à respecter les recommandations de David Johnston, dont le rapport portera sur l’ingérence étrangère, sans pour autant se limiter à celle de la Chine.

Tergiversations libérales

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada, le 11 mai dernier, à Ottawa

Après avoir plaidé maintes et maintes fois que l’intégrité de l’élection fédérale de 2021 n’avait pas été affectée par l’ingérence – en s’appuyant notamment sur un rapport produit par Morris Rosenberg, ancien PDG de la Fondation Trudeau –, le gouvernement a dû se rendre à l’évidence : il fallait bouger. On a donc annoncé des consultations en vue de la mise sur pied d’un registre d’agents étrangers (ce qui se concrétisera finalement), et la création d’un bureau national chargé de la coordination de la lutte contre l’ingérence étrangère. On a aussi expulsé, bien qu’il aura fallu une semaine de réflexion, le diplomate Zhao Wei et accru la supervision en vue des quatre élections complémentaires de juin prochain. Mais de l’avis de l’opposition, il faut plus de muscle. Et une enquête publique.