Le climat était à l’harmonie lundi entre Québec et Ottawa dans un dossier, celui de la place du français, où les deux gouvernements ont en général été à couteaux tirés.

La rencontre entre Ginette Petitpas Taylor, ministre fédérale des Langues officielles, et son homologue Jean-François Roberge, ministre de la Langue française et ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, réunis à la même tribune par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain pour aborder les enjeux du français dans la métropole, avait presque des accents de « love-in ».

« On peut parfois avoir des désaccords, mais une chose que j’aimerais que vous reteniez aujourd’hui, c’est qu’on partage un objectif commun, celui de protéger et de promouvoir le français partout au pays, y compris au Québec », a lancé la ministre Petitpas Taylor.

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Ginette Petitpas Taylor, ministre fédérale des Langues officielles

Dans les derniers mois, le ministre Roberge et moi avons mis l’accent sur la collaboration parce que le fédéral et le provincial ne sont pas toujours obligés d’être en chicane.

Ginette Petitpas Taylor, ministre fédérale des Langues officielles

Mme Petitpas Taylor a d’ailleurs fait cadeau d’un faucon pèlerin en peluche à M. Roberge, symbole d’une espèce dont le statut est passé de menacée à vulnérable, en guise de reconnaissance.

Gagnant-gagnant

Pour sa part, le ministre Roberge s’est dit « très content » de partager cette tribune avec « Ginette ».

« On a fait quelque chose de spécial, Ginette et moi, dernièrement, a-t-il dit. On a, je pense, surpris les gens, en travaillant dans un vrai effort de collaboration et de concertation. Une grande partie du mérite lui revient parce qu’enfin, on a une vision asymétrique. Ce que ça veut dire, en réalité, c’est qu’on change de paradigme. »

La décision d’Ottawa de reconnaître pour la première fois que le français est menacé au Québec, pas seulement dans le reste du Canada, est à l’origine de ce changement.

« Ils ont pris acte que le français est en déclin même au Québec, a expliqué M. Roberge. Il est majoritaire et vulnérable. C’est un fait statistique documenté. Mais politiquement, ça prenait quand même tout un leadership pour le dire, pour le nommer, pour le faire inscrire dans la Loi sur les langues officielles. »

« On avait des ornières qui nous disaient que pour que le Québec gagne, il fallait que le fédéral perde […] et pour que le gouvernement fédéral gagne, il fallait que le Québec soit à genoux. Ce n’est plus vrai. On a réussi à faire quelque chose qui est gagnant-gagnant. »

Le projet de loi C-13

M. Roberge a plaidé en faveur de l’adoption du projet de loi fédéral C-13, dans sa version actuelle « avec ses références à la Charte de la langue française ». « Pas dans une version passée à la lessive », a-t-il dit.

C–13, qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles, pourrait être adopté à la fin du mois de juin.

Ce projet de loi propose des mesures ciblées pour renverser le déclin du français, une tendance qui est « très, très préoccupante », selon la ministre, qui a récemment annoncé un plan d’action pour promouvoir et protéger les langues officielles au pays, avec des investissements de 4,1 milliards qui vont notamment servir à augmenter la part de l’immigration francophone.

Un enjeu qui divise

« Il va falloir des cibles d’immigration francophone beaucoup plus élevées hors Québec », a insisté Jean-François Roberge, qui a enchaîné en parlant des seuils d’immigration, qui restent un point de discorde entre les deux gouvernements.

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Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

J’ose nommer aussi la question de l’immigration massive, certains appellent ça l’initiative du siècle. Pour moi, c’est la lubie du siècle, de penser qu’on peut de manière démesurée perdre le contrôle de nos seuils d’immigration, ce n’est pas bon pour le Québec, ce n’est pas bon pour la francophonie canadienne.

Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

De son côté, le président de la Chambre, Michel Leblanc, a rappelé l’importance d’offrir de meilleurs programmes de francisation aux nouveaux arrivants, dans la métropole, en misant sur les gens sur le terrain.

« Des gens qui travaillent fort, qui viennent d’arriver parfois avec des enfants, des familles ou des femmes ou des maris qui doivent s’intégrer, il faut leur faciliter la vie », a-t-il fait savoir, en mêlée de presse, après la rencontre avec les deux ministres. « C’est vraiment ça, la leçon. Si on blâme l’immigrant, on perd de vue que c’est probablement que notre système n’est pas assez accommodant pour son horaire, pour sa réalité, donc c’est à nous de faire l’extra pour que ce soit facile. »

Jean-François Roberge a reconnu le problème et dit que la mise en vigueur, le 1er juin, du guichet unique « Francisation Québec » allait offrir des solutions. La ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, doit annoncer les détails sous peu.

L’histoire jusqu’ici

1er mars 2022

Dépôt par Ottawa du projet de loi C-13 sur les langues officielles qui reconnaît la Charte de la langue française.

1er juin 2022

Adoption du projet de loi 96 qui renforce la Charte de la langue française et affirme que le français est la seule langue officielle du Québec.

17 août 2022

Les données du recensement de 2021 sur la langue montrent un déclin du poids démographique des francophones au Québec et au Canada.

26 avril 2023

Dévoilement par Ottawa d’un plan quinquennal de 4,1 milliards pour soutenir les langues officielles et surtout le français.