(Ottawa) Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, ne pourrait pas mettre à exécution sa menace de couper les vivres à CBC/Radio-Canada d’un montant de 1 milliard de dollars, comme il promet de le faire s’il prend le pouvoir aux prochaines élections, sans violer au moins l’esprit de la nouvelle Loi sur les langues officielles que s’apprête à adopter la Chambre des communes.

Le projet de loi C-13, qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles, indique en effet dans son préambule que « le gouvernement fédéral reconnaît que la Société Radio-Canada contribue par ses activités à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones et à la protection et la promotion des deux langues officielles ». Dans la version anglaise du projet de loi, on reprend le même préambule en faisant allusion à la Canadian Broadcasting Corporation (CBC).

On utilise cette même déclaration à l’article 42,1 du projet de loi et on ajoute ceci : « Cette reconnaissance est faite dans le respect de la liberté d’expression et de l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation dont jouit la Société Radio-Canada. »

Le débat sur la troisième lecture du projet de loi C-13 doit commencer mercredi à la Chambre des communes. Le gouvernement Legault appuie la dernière mouture de cette réforme et souhaite son adoption par le Parlement avant la fin de juin.

Des sources gouvernementales ont confirmé à La Presse que, selon leur analyse, Pierre Poilievre ne pourrait couper les vivres à CBC sans violer cette nouvelle loi. « Il violerait certainement au moins l’esprit de la nouvelle loi en coupant le financement à CBC. Radio-Canada serait possiblement touchée par ces coupes. »

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur

« Les communautés francophones minoritaires et la minorité anglophone au Québec pourraient utiliser cet article de la loi pour contester ces coupes devant les tribunaux », a affirmé une source gouvernementale, qui s’exprimait sous le couvert de l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement de ce dossier.

Deux entités distinctes ?

Lors de l’étude du projet de loi en comité, en décembre dernier, un député conservateur de la Colombie-Britannique, Brad Vis, s’était élevé contre cette clause du projet de loi. Il avait d’ailleurs tenté en vain de la faire retirer.

« Ce paragraphe me pose un problème, notamment parce que je considère Radio-Canada et la Canadian Broadcasting Corporation, CBC, comme deux entités distinctes. Je dois également dire que je ne pense pas que CBC contribue vraiment encore de nos jours à la promotion de la langue anglaise. Je vous demanderais donc de bien vouloir revoir le libellé », avait-il alors plaidé, sans succès.

CBC et Radio-Canada sont deux sociétés administrées séparément, si bien qu’il ne m’apparaît pas logique de faire référence à l’une d’elles dans la version anglaise et à l’autre dans la version française.

Brad Vis, député conservateur de la Colombie-Britannique

Dans les rangs conservateurs, aucun des députés joints par La Presse n’a voulu publiquement s’avancer au sujet de l’effet de cette réforme de la Loi sur les langues officielles sur la promesse de réduire les fonds de 1 milliard à CBC.

Une protection supplémentaire

Durant la campagne de 2019, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis dans leur programme électoral d’accorder une couche de protection supplémentaire à la société d’État afin de contrer les intentions maintes fois répétées des conservateurs de couper les vivres à CBC/Radio-Canada.

Les libéraux comptaient le faire en explicitant le rôle crucial que joue CBC/Radio-Canada dans la protection et la promotion des deux langues officielles au pays, notamment dans les régions où vivent les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire.

Le gouvernement Trudeau donne donc suite à cette promesse dans le projet de loi C-13, qui jouit de l’appui du gouvernement de François Legault à la suite d’une entente intervenue le mois dernier entre la ministre fédérale des Langues officielles, Ginette Petitpas-Taylor, et le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, et qui touche les obligations des entreprises à charte fédérale envers les employés francophones au Québec et dans les régions à forte présence francophone.

Au cours des dernières semaines, le chef conservateur Pierre Poilievre a intensifié sa croisade contre la CBC. Ses attaques ne visent toutefois pas Radio-Canada, qu’il juge essentielle pour l’avenir des communautés francophones au pays.

M. Poilievre a même envoyé une lettre à Twitter pour que le réseau social ajoute l’étiquetage indiquant que CBC est un média « financé par le gouvernement ». Twitter a acquiescé à cette demande le 16 avril avant de faire marche arrière cinq jours plus tard. Mais le jour où le géant du web a modifié l’étiquetage de CBC, M. Poilievre s’est rapidement félicité de cette désignation. « Les gens savent maintenant que c’est une propagande de Trudeau, et pas des nouvelles », a-t-il écrit sur Twitter. Il a ensuite lancé un énième appel à retirer 1 milliard de dollars du financement à CBC.

En 2021-2022, CBC/Radio-Canada a reçu 1,2 milliard du gouvernement fédéral, comparativement à 1,4 milliard lors de l’exercice précédent. Le diffuseur public tire également des revenus de la publicité et des abonnements.