(Québec) Craignant des dérives comme aux États-Unis, la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, veut légiférer pour que le droit des femmes de choisir l’avortement devienne « sacré » au Québec. Elle lance un chantier pour ouvrir le « débat » dans la société.

« Ce que je veux sacrer, c’est le principe. Je veux visser ça dans le mur. Je veux qu’on dise que ce droit-là, c’est un droit au Québec, on y croit et on veut le protéger », lance la ministre en entrevue avec La Presse. La députée des Chutes-de-la-Chaudière « jure » qu’il ne s’agit pas d’une tentative de faire diversion après le revirement spectaculaire du gouvernement Legault dans le dossier du troisième lien.

« Je n’ai pas mis sur la gueule quelque chose pour cacher quoi que ce soit », assure celle qui est aussi ministre des Relations internationales. La décision d’annoncer ses visées cette semaine a été prise après la confirmation du report de la visite au Québec de la première ministre française à la mi-avril, dit Mme Biron.

Martine Biron consultera donc dans les prochaines semaines de nombreux acteurs de la société civile, comme des médecins, des spécialistes du droit et des groupes communautaires. Elle veut arriver avec « une réponse » à l’automne. Son premier choix : présenter un projet de loi qui viendrait « protéger » le droit à l’avortement.

Je veux quand même entendre les opinions. Qu’est-ce que les gens ont à dire là-dessus ? Est-ce qu’il y a d’autres chemins plus forts qu’une loi ? Peut-être. […] c’est pour ça qu’il faut se donner un peu d’espace.

Martine Biron, ministre responsable de la Condition féminine

L’avortement n’est plus un crime au Canada depuis l’arrêt Morgentaler de la Cour suprême, en 1988. Mais il existe un « flou juridique », selon Mme Biron. « Ce n’est plus un crime, mais il n’y a aucune loi qui encadre ce droit-là. [Le gouvernement fédéral] n’a jamais été capable de le faire, ils n’ont jamais légiféré sur ce sujet-là », déplore-t-elle.

L’affirmation d’un droit fondamental

Une loi québécoise viendrait affirmer que le droit des femmes de choisir l’avortement est fondamental. Il n’est pas question de légiférer au sujet « des modalités » d’accès ou de contraception, nuance Mme Biron, mais de « protéger le principe » qui fait largement consensus au Québec.

« Je sais que [la criminalisation de l’avortement] est de compétence fédérale, mais au Québec, on se doit de faire quelque chose », soutient l’ex-analyste de Radio-Canada. Elle a d’ailleurs plaidé sa cause auprès du premier ministre avant de confirmer son saut en politique en août dernier, alors qu’elle rentrait d’une affectation à Washington, où le débat fait rage depuis le renversement de l’arrêt Roe c. Wade.

Des obstacles venus du fédéral

Le Canada n’est pas à l’abri, croit-elle. « Depuis 1988, dans les 35 dernières années, il y a eu 48 tentatives d’un député fédéral, via un projet de loi privé, de restreindre le droit à l’avortement des femmes [au Canada]. Qu’est-ce qui me dit que la 49e fois, ça n’arrivera pas ? », plaide Mme Biron.

Ça fait plus [d’une tentative] par année, donc il y a des gens qui sont insistants à travers le temps.

Martine Biron, ministre responsable de la Condition féminine

Si Ottawa décidait de légiférer pour encadrer le droit à l’avortement au pays, la loi fédérale aurait préséance sur une législation provinciale. En ce sens, « si le gouvernement fédéral voulait d’une façon ou d’une autre diminuer ou restreindre ce droit-là, il saurait que le Québec est sur son chemin », répond Mme Biron.

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a d’ailleurs mis à sa disposition « une petite équipe de juristes » pour l’accompagner dans ses démarches. « Je pense que le droit des femmes, actuellement, il pourrait être menacé, et dans ce sens-là, je veux agir maintenant », plaide-t-elle, disant observer partout dans le monde « un courant qui polarise le débat ».