(Ottawa) Les organisations non gouvernementales (ONG) devraient pouvoir venir en aide aux Afghans sans s’exposer à de graves sanctions : le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi visant à modifier les dispositions du Code criminel qui exposaient les ONG à ce risque.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino a présenté jeudi matin à la Chambre des communes la mesure législative C-41, qui vise à corriger la situation qui était dénoncée depuis plusieurs mois tant par les ONG que les partis d’opposition.

Le projet de loi vise à modifier le Code criminel afin de créer un régime en vertu duquel le ministre « peut autoriser une personne admissible à exercer, dans une région contrôlée par un groupe terroriste et à certaines fins », une activité qui serait autrement interdite.

L’autorisation, si elle est accordée, valide pour une période maximale de cinq ans.

Les secteurs d’activité qui pourront avoir le feu vert sont, entre autres, l’aide humanitaire (nourriture, abri, hygiène), l’aide en santé (vaccination, services de soins maternels et infantiles) ou les services d’éducation (matériel pédagogique, formation en alphabétisation), énumère-t-on dans un document du gouvernement.

« Que nous fournissions de l’aide ou accueillions des réfugiés, nous sommes là pour les Afghans vulnérables, tout en continuant de fermement condamner la violence, la misogynie et le mépris pour les droits humains de la part du régime taliban », a déclaré le ministre Mendicino par voie de communiqué.

Il avait fait son annonce en compagnie de ses collègues au Développement international, Harjit Sajjan, et à la Justice, David Lametti au siège social de la Croix-Rouge canadienne — une ONG qui était de celles dont les cargaisons d’aide humanitaire destinées à l’Afghanistan étaient entravées par la loi.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Marco Mendicino

C’est que les talibans, qui ont repris les rênes du pouvoir à Kaboul le 15 août 2021, sont inscrits à la liste des entités terroristes du Canada. En raison de ce statut, tout financement qui pourrait leur profiter directement ou indirectement expose les contributeurs à des poursuites criminelles.

La majorité de la population afghane ne mange pas à sa faim ; plus de 28 millions de personnes, soit les deux tiers de la population, auront besoin d’aide humanitaire en 2023, selon un rapport publié le 21 février dernier par le Programme alimentaire mondial.

Un projet de loi qui a tardé

Le bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe, qui talonne le gouvernement Trudeau depuis plus d’un an dans ce dossier, se réjouit de cette « énorme victoire », et il promet aux libéraux que sa formation collaborera afin que le projet de loi soit adopté à toute vapeur.

« Le gouvernement peut compter sur la collaboration du Bloc québécois pour accélérer le processus. On ne peut pas attendre au mois de septembre pour ce que ce soit en vigueur. Les gens en Afghanistan ont besoin d’aide maintenant », a-t-il indiqué en entrevue à la veille du dépôt officiel de C-41.

Elle aussi d’avis que l’adoption du projet de loi devrait être considérée comme une priorité, sa collègue néo-démocrate Heather McPherson a aussi exprimé son soulagement de voir des mesures enfin annoncées par le gouvernement Trudeau.

« Bien que ce projet de loi arrive 18 mois trop tard, les néo-démocrates l’examineront attentivement et veilleront à ce que les organisations canadiennes disposent des outils dont elles ont besoin pour enfin reprendre leur travail salvateur en Afghanistan », a-t-elle signalé.

Même son de cloche dans le camp conservateur en ce qui a trait à la lenteur libérale.

« Depuis le début, le gouvernement libéral a laissé tomber les interprètes afghans qui ont servi avec nos hommes et nos femmes en Afghanistan, et il a laissé tomber tous les Afghans en ne s’attaquant pas plus tôt aux problèmes juridiques qui ont un impact sur l’aide au développement », a dénoncé Garnett Genuis.

Mécontentement chez Médecins sans frontières

Le son de cloche est complètement différent chez Médecins sans frontières, où le représentant humanitaire de l’organisation au Canada, Jason Nickerson, s’élève contre l’obligation d’obtenir une autorisation pour offrir de l’aide humanitaire.

« La législation proposée aujourd’hui exige que les organisations humanitaires demandent une autorisation au gouvernement canadien avant d’envoyer du personnel médical pour répondre à certaines crises humanitaires. Et si la demande est rejetée ? », a-t-il soulevé par voie de communiqué.

Selon l’organisation, les amendements proposés par le gouvernement créent « de nouveaux obstacles bureaucratiques que les organisations humanitaires doivent surmonter et criminalisent même les travailleurs humanitaires impartiaux ».