(Ottawa) Les allégations d’ingérence de la Chine durant les élections fédérales de 2021 seront examinées à la loupe par un comité parlementaire.

Les membres du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre des communes ont voté à l’unanimité pour une motion qui vise à élargir l’enquête en cours sur le dossier de l’ingérence étrangère durant les élections fédérales de 2019.

Cette motion a été adoptée au terme d’une rencontre marquée par un bras de fer entre les députés conservateurs, d’une part, et les députés libéraux et un député néo-démocrate, d’autre part.

La motion vise à faire la lumière sur les informations rapportées la semaine dernière par le quotidien The Globe and Mail selon lesquelles la Chine aurait utilisé une stratégie raffinée durant la campagne électorale de 2021 afin d’assurer la réélection d’un gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau et de défaire des candidats conservateurs jugés hostiles au régime communiste chinois.

Le quotidien soutient avoir constaté l’ampleur de l’opération d’ingérence menée par Pékin en consultant des documents secrets du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) touchant la période précédant et suivant les élections de septembre 2021. Entre autres choses, la direction du Parti communiste chinois à Pékin « faisait pression sur ses consulats pour qu’ils créent des stratégies visant à tirer parti des membres et des associations de la communauté chinoise à des fins politiques au sein de la société canadienne ».

Le premier ministre Justin Trudeau a soutenu la semaine dernière que les électeurs canadiens avaient été les seuls à déterminer l’issue du dernier scrutin, minimisant la suggestion selon laquelle la Chine aurait tenté d’influencer indûment le résultat des élections.

Selon le Globe and Mail, les documents du SCRS indiquent que des diplomates chinois et certains représentants des médias de langue chinoise avaient reçu le mandat de convaincre la diaspora chinoise que le Parti conservateur était trop critique à l’égard de la Chine. Si le Parti conservateur devait remporter la victoire, il pourrait emboîter le pas à l’ancien président américain Donald Trump, qui a notamment frappé les étudiants chinois d’une interdiction de fréquenter certaines universités ou certains programmes d’enseignement aux États-Unis.

« L’ingérence étrangère n’a cessé de prendre de l’ampleur au cours des deux dernières élections », a lancé le député conservateur Blaine Calkins durant la réunion extraordinaire du comité, convoquée d’urgence par les députés de l’opposition au moment où les travaux des Communes font relâche pendant deux semaines.

Le Parti conservateur estime qu’au moins huit de ses candidats ont mordu la poussière aux élections fédérales de 2021 à cause de l’ingérence de la Chine durant la campagne électorale. De hauts dirigeants du Parti conservateur ont soumis des exemples concrets d’ingérence de la Chine aux enquêteurs du SCRS durant trois rencontres qui ont eu lieu après le jour du scrutin, le 20 septembre 2021, selon des informations obtenues par La Presse.

Dès le début de la rencontre, les députés conservateurs ont présenté une longue motion qui aurait permis de convoquer la cheffe de cabinet du premier ministre Justin Trudeau, Katie Telford, pour qu’elle vienne témoigner. Le premier ministre aurait aussi été invité à comparaître, ainsi que l’ancien ministre des Affaires étrangères. Les élus conservateurs, qui ont obtenu l’appui de la députée bloquiste Marie-Hélène Gaudreau, souhaitaient aussi obtenir des documents de divers ministères concernant l’ingérence étrangère.

Mais les invitations qui auraient été envoyées à Mme Telford et au premier ministre ont été retirées à la suite de l’adoption d’un amendement proposé par le député libéral Greg Fergus. Ce dernier a aussi fait biffer de la motion conservatrice l’obligation de produire des documents liés à l’ingérence étrangère.

Toutefois, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, et le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, qui est aussi responsable des institutions démocratiques, seront appelés à témoigner, tout comme la conseillère du premier ministre en matière de sécurité nationale et de renseignement, Jody Thomas, et les dirigeants du SCRS et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), entre autres organismes.

Les membres du comité ont débattu pendant près de deux heures l’opportunité d’élargir la portée de l’enquête parlementaire.

« Par ces cachettes ou par son aveuglement volontaire, le premier ministre prête foi aux allégations voulant qu’il ait fermé les yeux parce que les libéraux étaient la saveur du jour du régime de Pékin. C’est juste déplorable », a lancé le député conservateur Luc Berthold.

La députée libérale Jennifer O’Connell a répliqué que le gouvernement Trudeau est conscient depuis longtemps que des régimes autoritaires cherchent à influencer le déroulement des élections au Canada. « Les conservateurs semblent être très sélectifs quant à leurs préoccupations en matière d’ingérence politique », a-t-elle dit, accusant ces derniers de s’inspirer des tactiques de Donald Trump pour mettre en doute les résultats des élections de 2021.

Le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre des communes se penche déjà depuis novembre dernier sur l’ingérence étrangère lors des élections de 2019. Les membres du comité ont déjà interrogé des témoins de la GRC, du SCRS et d’Élections Canada ainsi que certains ministres du gouvernement Trudeau.