Le Canada est plus que jamais disposé à envoyer des chars Leopard de fabrication allemande à l’Ukraine, comme le réclame Kyiv. Mais avant de confirmer ses intentions, le gouvernement Trudeau tente de rallier le plus grand nombre d’alliés à cette démarche qui pourrait marquer une nouvelle escalade de la guerre que mène la Russie en Ukraine.

Ce qu’il faut savoir

  • Ottawa est disposé à envoyer en Ukraine des chars lourds Leopard de fabrication allemande et cherche à rallier le maximum de pays dans cette entreprise.
  • La Pologne a annoncé qu’elle est prête à envoyer 14 chars Leopard en Ukraine, sans l’accord de Berlin.
  • Kyiv réclame 300 chars lourds de la part de ses alliés occidentaux.
  • Un chef séparatiste prorusse s’est affiché à Soledar, dont Moscou a revendiqué la capture le 13 janvier dernier.

Le Canada tient à éviter que cette initiative n’implique qu’un nombre restreint de pays. À l’heure actuelle, la Pologne mène la charge auprès du gouvernement allemand afin d’obtenir le feu vert nécessaire de sa part pour envoyer ces chars d’assaut sur le sol ukrainien.

La Pologne est prête à envoyer 14 Leopard et est en discussions avec une quinzaine de pays à ce sujet. En tout, une vingtaine de pays utilisent ces chars, dont le Canada, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège, l’Australie et la Suède.

Pour l’heure, Ottawa n’a pas demandé à Berlin l’autorisation d’expédier vers l’Ukraine ses Leopard 2 – le Canada en possède 112 au total, soit 82 chars de combat et 30 véhicules de génie et dépannage –, selon ce qu’a indiqué lundi à La Presse une porte-parole de l’ambassade d’Allemagne au Canada.

La requête de Kyiv pour l’envoi de chars lourds a fait l’objet de discussions vendredi dernier en Allemagne lors de la réunion du Groupe consultatif sur la défense de l’Ukraine.

« Le Canada examine cette demande, en coordination avec nos alliés et nos partenaires », s’est contenté d’affirmer lundi Daniel Minden, attaché de presse de la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, qui assistait à cette rencontre.

Rallier pour armer

Mais la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a clairement fait savoir à quelle enseigne elle logeait.

Elle fait partie des faucons à la table du Cabinet.

« Pour arriver à une paix durable, il faut continuer à armer l’Ukraine. C’est un peu le paradoxe dans lequel on est, mais c’est vraiment l’approche que l’on prend et que nos alliés prennent également », a insisté la cheffe de la diplomatie canadienne en mêlée de presse, lundi, avant de participer à la retraite de trois jours du Cabinet à Hamilton, en Ontario.

PHOTO NICK IWANYSHYN, LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, lors d’une conférence de presse à Hamilton, en Ontario

« On a envoyé récemment 200 véhicules blindés en Ukraine. On a participé aussi au nouveau système de défense antiaérien. Il y a encore beaucoup à faire. Et on va en faire plus », a-t-elle ajouté du même souffle.

Une source gouvernementale qui a requis l’anonymat a indiqué à La Presse que le Canada multipliait les démarches auprès de pays alliés afin de convaincre le plus grand nombre de participer à cet effort pour soutenir l’Ukraine avant une nouvelle offensive russe au printemps.

« C’est davantage un enjeu diplomatique en ce moment », a indiqué cette source.

La ministre Joly a confirmé avoir discuté de ce dossier avec son homologue des Affaires étrangères de l’Allemagne, Annalena Baerbock, au cours des dernières heures.

« J’ai eu plusieurs conversations avec des représentants du gouvernement allemand. C’est très important que l’on s’entende entre alliés. C’est pour cela que les conversations vont continuer. Mais vous pouvez avoir notre confirmation à l’effet que nous allons toujours en faire plus pour soutenir l’Ukraine », a-t-elle dit.

Berlin sous pression

Mme Joly a tenu ces propos le jour même où la Pologne a fait savoir qu’elle était prête à se passer de l’aval de l’Allemagne, indécise sur la question, pour livrer des chars Leopard à l’Ukraine, où les forces russes continuent de revendiquer de petites avancées sur le terrain.

Le gouvernement allemand apparaissait pour sa part divisé sur la question de la livraison de chars lourds Leopard, et le chancelier Olaf Scholz, jusqu’ici évasif, se retrouvait lundi sous une pression toujours plus forte.

D’autant plus que la ministre Baerbock a jugé la veille que l’Allemagne était disposée à autoriser, conformément à la législation en vigueur, Varsovie à fournir ces blindés à Kyiv.

Varsovie veut aller de l’avant, Kyiv en veut davantage

« Nous allons demander un tel accord [à Berlin], mais c’est une question secondaire », a réagi lundi le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki. « Même si nous n’obtenons pas leur accord [des Allemands], nous donnerons nos chars à l’Ukraine dans le cadre d’une petite coalition », y compris « si l’Allemagne n’en fait pas partie ».

PHOTO STRINGER, ARCHIVES REUTERS

Ce char ukrainien s’est fait remorquer, vendredi, victime d’un bris mécanique près du front de Bakhmout. Kyiv réclame des centaines de chars lourds modernes de ses alliés occidentaux afin de contrer la récente avancée de l’armée russe.

« Nous avons besoin […] de plusieurs centaines » de chars, a pour sa part martelé le chef de cabinet de la présidence ukrainienne, Andriï Iermak, à un moment où les Russes sont à l’offensive, dans l’est de l’Ukraine en particulier.

Lundi, au lendemain des propos d’Annalena Baerbock sur la livraison des chars Leopard, Steffen Hebestreit, porte-parole du chancelier allemand, a précisé de nouveau sa position : « Le gouvernement fédéral n’exclut pas que des chars Leopard soient livrés, il n’a pas encore décidé s’il allait le faire maintenant. »

La crainte d’une escalade militaire avec Moscou et les réticences de Berlin à assumer un leadership dans le camp occidental conduisent, selon des analystes, l’Allemagne à hésiter par rapport à l’envoi de ces armes.

Avec l’Agence France-Presse