(Ottawa) Équiper les forces policières nationales, maintenir les sanctions contre l’élite et les chefs de gangs, encourager les politiciens qui se sont peinturés dans un coin à marcher sur la peinture. Parce qu’il ne veut pas tomber dans les pièges du passé, le Canada veut miser là-dessus plutôt que sur une intervention militaire étrangère en Haïti.

Le gouvernement canadien a dépêché la semaine dernière en mission diplomatique son ambassadeur auprès des Nations unies, Bob Rae. De retour de l’île des Caraïbes, celui-ci fait valoir que « l’impunité » et la « corruption d’une ampleur horrible » ne peuvent plus durer.

« Il faut s’assurer, comme nous l’avons fait [en octobre dernier] en livrant des véhicules blindés, que la Police nationale d’Haïti [PNH] ait l’équipement nécessaire et la formation nécessaire. On va continuer de le faire », a indiqué l’ancien politicien en entrevue avec La Presse, lundi.

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Bob Rae, ambassadeur du Canada auprès des Nations unies

Dans la même conversation sur WhatsApp, l’ambassadeur du Canada en Haïti, Sébastien Carrière, abonde : « La solution au problème à long terme de la sécurité en Haïti, c’est la PNH. La force est de plus en plus fatiguée et elle a un problème d’attrition, parce qu’il y a plus de gens qui partent que de nouveaux qui sont diplômés chaque année. »

À cette crise sécuritaire s’ajoutent les crises humanitaire – 65 % de la population se trouve en situation d’insécurité alimentaire élevée, a alerté l’ONU en octobre – et sanitaire – le choléra a fait une résurgence au pays –, mais également ce qui a toutes les allures d’une impasse politique.

Mais dans un pays où « tout autour de Port-au-Prince, dans les zones de non-droit, les gens vivent essentiellement sous le contrôle de gangs armés criminels, où les femmes et les filles se font violer à répétition par plusieurs hommes en même temps », ils doivent être peu à se lever le matin en pensant à la personne qui dirige leur pays, avance M. Carrière.

Les politiciens haïtiens à blâmer

« La classe politique haïtienne au complet les a faillis, déplore-t-il. Le politics as usual en Haïti, il faut que ça arrête. Chacun s’est peinturé dans un coin, et comme le disait Jean Chrétien, il va falloir marcher sur la peinture. Ils vont tous devoir le faire. » Et l’actuel premier ministre, Ariel Henry, peut faire partie de la solution, croit l’ambassadeur.

Il ne revient toutefois pas non plus au Canada de « se substituer » à la volonté du peuple haïtien, renchérit Bob Rae.

On n’est pas là pour mettre quelqu’un en place. On ne va pas s’imposer comme on le faisait à une autre époque. Il faut apprendre quelque chose de notre histoire.

Bob Rae, ambassadeur du Canada auprès des Nations unies

Dans la même veine, l’ancien chef libéral par intérim ne préconise pas une intervention militaire étrangère. « Des forces extérieures sont intervenues dans un passé récent. Oui, elles ont réussi à ramener un peu d’ordre, mais pas de façon durable. Pour moi, l’élément le plus important est la durabilité », expose-t-il.

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Manifestation contre le premier ministre Ariel Henry,
à Port-au-Prince, le 17 octobre dernier

En octobre 2017, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) a plié bagage après plus d’une décennie sur le terrain, non sans avoir provoqué au pays, par l’entremise de soldats népalais, une vague de choléra.

Depuis, il n’y a eu aucun scrutin général, et un président, Jovenel Moïse, a été assassiné.

Les prochaines élections générales et la présidentielle pourraient avoir lieu en 2023.

Rencontre d’un groupe sur Haïti

Le premier ministre Justin Trudeau a convoqué ce mardi le Groupe d’intervention en cas d’incident sur la situation en Haïti. En temps normal, Bob Rae et Sébastien Carrière sont de la partie.

Les deux chefs de mission, qui ont rencontré Ariel Henry jeudi passé, devraient formuler certaines recommandations. Sans vouloir révéler au préalable ce qu’ils vont proposer, ils affichent un parti pris pour l’ajout de sanctions aux élites et aux chefs de gangs.

Jusqu’à présent, le Canada a frappé de sanctions des personnes influentes contribuant à maintenir Haïti dans le chaos, dont l’ancien président Michel Martelly, deux ex-premiers ministres, le chef de gang Jimmy Cherizier, alias « Barbecue », et des élites économiques.

Le gouvernement a également accordé en novembre dernier 16,5 millions en aide pour stabiliser Haïti.