(Ottawa) L’avocat des organisateurs du « convoi de la liberté », Brendan Miller, a été expulsé de la salle où se tient la Commission sur l’état d’urgence mardi après avoir mis en doute l’autorité du juge Paul Rouleau. Il s’est indigné d’attendre une décision concernant des documents caviardés du gouvernement. Quelques heures plus tard, sa requête a été rejetée en partie et il a été autorisé à revenir dans la salle.

Le juge Rouleau a demandé à la sécurité de venir l’escorter au retour d’une pause en fin d’avant-midi, mais l’avocat a fini par quitter la salle de lui-même. Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, devait alors poursuivre son témoignage.

Une prise de bec avait eu lieu entre MMiller et le juge Rouleau juste avant la pause. L’avocat a présenté une requête orale pour faire témoigner l’attaché de presse du ministre Mendicino, Alex Cohen, tout de suite après son patron.

Il estime que ce dernier a voulu dépeindre les manifestants comme des extrémistes qui brandissaient des drapeaux nazis dans les médias, en s’appuyant sur des textos déjà présentés en preuve à la commission. La veille, MMiller avait allégué que Brian Fox, le président de la firme de relations publiques Entreprise Canada, avait planté un drapeau nazi lors du premier week-end du « convoi de la liberté ». Une information rapidement démentie par la firme.

Le juge a refusé d’entendre la requête orale de MMiller, lui a recommandé de s’entendre avec les procureurs de la commission pour faire sa requête par écrit et lui a rappelé qu’il avait un horaire serré à respecter. « Monsieur, l’horaire n’est pas aussi important que d’obtenir la vérité », s’est exclamé MMiller.

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Le juge Paul Rouleau

« Il n’y a pas de doute que nous voulons obtenir la vérité, lui a répondu le juge du tac au tac. C’est une question très complexe et il ne s’agit seulement pas de ce que vous voulez. C’est à propos de ce que la commission doit faire. »

L’avocat est revenu à la charge au retour de la pause et a accusé le magistrat d’avoir refusé de se prononcer sur plusieurs de ses requêtes. Le juge Rouleau a alors décidé de l’expulser.

« Mon devoir envers mes clients et comme avocat est de découvrir la vérité », a affirmé MMiller lors d’une mêlée de presse à sa sortie de l’édifice. Il a indiqué que le juge n’avait pas encore répondu à deux requêtes déjà faites par écrit il y a plusieurs jours. L’une visait à enlever le caviardage de neuf documents fournis par le gouvernement, l’autre à faire témoigner M. Fox.

« Le secret du Cabinet ne s’applique pas aux employés politiques », a-t-il lancé. Il a également soutenu qu’une personne avait reconnu M. Fox à Ottawa lors du premier week-end de la manifestation sans la nommer.

Le juge Rouleau a rendu une décision en après-midi. Il a rejeté la requête pour enlever le caviardage dans les documents sauf dans les cas où le privilège parlementaire est invoqué comme raison. Il a par la suite autorisé MMiller à revenir dans la salle en fin d’après-midi pour contre-interroger le ministre Mendicino. L’avocat l’a notamment questionné sur les liens entre Entreprise Canada et les libéraux. M. Mendicino a dit ignorer que la firme de relations publiques avait des contrats avec le Parti libéral du Canada.

L’avocat d’Entreprise Canada et de Brian Fox a fait parvenir mardi une mise en demeure à l’avocat du « convoi de la liberté » pour qu’il cesse de les diffamer. Il a noté au passage que M. Fox n’est pas allé à Ottawa depuis 2019, qu’il n’a aucun lien avec le Parti libéral du Canada et qu’il est plutôt membre du Parti conservateur du Canada.

Une « envergure nationale »

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Marco Mendicino

Plus tôt en avant-midi, le ministre Mendicino a décrit le « convoi de la liberté » comme un « mouvement qui, dans certains cas, était prêt à attaquer nos institutions démocratiques pour forcer un changement de politiques ». Il a cité en exemple les propos de Pat King, l’une des figures de proue de la manifestation à Ottawa, comme quoi cela allait « se terminer avec des balles ».

Il s’inquiétait de l’incapacité de la police d’Ottawa d’appliquer la loi « autour des infrastructures critiques » que sont le Parlement et les autres institutions fédérales. Le campement installé près du stade de baseball le préoccupait parce que certains des manifestants qui y étaient avaient déjà servi dans l’armée.

« C’était une manifestation illégale d’envergure nationale qui s’est produite à des infrastructures critiques comme des postes frontaliers, des assemblées législatives et ici au siège du gouvernement fédéral », a-t-il décrit. Les forces de l’ordre ont rapidement été submergées, selon lui, et il leur devenait impossible d’utiliser des outils comme le Code criminel, le Code de la route ou même des remorqueuses pour enlever les camions.

Le ministre a admis ne jamais avoir vu le courriel de la commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Brenda Lucki, indiquant que les corps policiers n’avaient pas utilisé tous les outils déjà à leur disposition pour mettre fin aux convois de camions à Ottawa et ailleurs au pays alors que le gouvernement s’apprêtait à recourir à la Loi sur les mesures d’urgence. Il a également indiqué que cette information n’avait pas été présentée au Cabinet lors de la réunion où la décision a été prise.

« Si vous l’aviez su, est-ce que cela vous aurait fait changer d’avis ? », lui a demandé la co-procureure en chef de la Commission, Shantona Chaudhury.

« Je ne crois pas à ce moment-là », a répondu le ministre. La commissaire Lucki venait de lui donner de l’information selon laquelle il y avait une cellule « d’individus armés jusqu’aux dents avec la volonté de tomber pour la cause ». Une conversation qu’il a décrite comme un « moment charnière ».