(Ottawa) Le « convoi de la liberté » a bénéficié de fuites provenant des forces de l’ordre au moment même où des centaines de camions paralysaient le centre-ville d’Ottawa. L’avocat des organisateurs du convoi, Keith Wilson, a confirmé cette information lors d’un contre-interrogatoire mercredi à la Commission sur l’état d’urgence.

« Vous receviez de l’information de policiers sympathiques [à votre cause] ? », lui a demandé l’avocat des résidants et des commerces du centre-ville d’Ottawa, Paul Champ. « Oui, c’est vrai », a répondu MWilson.

Ces informations privilégiées étaient données aux ex-policiers, ex-militaires et ex-agents du renseignement qui participaient à la manifestation à Ottawa. « Beaucoup d’entre eux avaient des contacts et apportaient du renseignement », est-il écrit dans sa déclaration de témoin déposée en preuve.

« Wilson n’est pas au courant des sources, mais le convoi de la liberté recevait des informations divulguées par les forces de l’ordre. Finalement, la police a compris et a semblé lancer de fausses opérations pour déstabiliser les participants du convoi de la liberté et tester d’où provenaient les fuites », lit-on dans le document constitué d’extraits d’entrevues qu’il a données aux procureurs en préparation de son témoignage.

En mêlée de presse, l’avocat a précisé qu’il s’agissait de sources opposées à la vaccination contre la COVID-19. « Il y avait beaucoup de policiers alors et maintenant qui pensaient que ce que le gouvernement avait fait était absolument mal », a-t-il expliqué.

Les agents qui fournissaient « abondamment » des informations privilégiées au « convoi de la liberté » provenaient de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), de la Police provinciale de l’Ontario (PPO), du Service de police d’Ottawa (SPO) et du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Seule exception, les Forces armées canadiennes. « La seule information que nous avons eue des militaires était qu’ils n’allaient pas s’en mêler », a-t-il précisé.

Le comportement des policiers a été critiqué à de nombreuses reprises durant cette manifestation. Certains agents semblaient encourager les participants en prenant des photos avec eux et leur tapant dans les mains. Un rapport de renseignement produit par la police d’Ottawa avant l’arrivée du convoi de camions décrivait les manifestants comme des gens ordinaires de la classe moyenne, et non des manifestants professionnels.

La police anticipait au départ qu’ils allaient rester une fin de semaine. Des milliers de camions sont arrivés dans la capitale fédérale à compter du 28 janvier et ont paralysé le centre-ville durant trois semaines. MWilson est arrivé à Ottawa en provenance de l’Alberta le 2 février à bord d’un petit avion nolisé pour représenter plusieurs des organisateurs du « convoi de la liberté », dont Tamara Lich et Chris Barber. Il les a aidés à négocier avec la police, la Ville et les camionneurs et a été leur porte-parole lors d’une conférence de presse.

Sortie de crise

Les organisateurs du « convoi de la liberté » tentaient de trouver une sortie de crise dans les jours précédant la vaste opération policière qui a mis fin à leurs activités. MWilson, a témoigné mercredi qu’ils voulaient dégager toutes les rues du centre-ville d’Ottawa pour concentrer les camions sur la rue Wellington, devant le Parlement, et rester aussi longtemps qu’il le faudrait.

Des négociations étaient alors en cours avec la Ville d’Ottawa pour dégager les rues résidentielles. Pour les organisateurs du convoi de camions, l’idée était de concentrer la manifestation sur le gouvernement fédéral. Le « convoi de la liberté » avait d’abord été créé pour s’opposer à l’obligation vaccinale imposée aux camionneurs pour les voyages transfrontaliers.

MWilson a affirmé que l’idée était de démontrer que les organisateurs étaient de bonne foi. Leur espoir était ainsi d’obtenir une rencontre avec des ministres du gouvernement de Justin Trudeau, mais pas le premier ministre lui-même. Ils croyaient que cela donnerait une raison de partir aux manifestants qui paralysaient le centre-ville de la capitale fédérale depuis quelques semaines.

Des luttes de pouvoir entre toutes sortes de groupes minaient l’organisation du « convoi de la liberté ». Le mouvement attirait des adeptes de théories de la conspiration « comme une flamme attire les papillons de nuit ». Il a affirmé que plusieurs groupes faisaient pression sur sa cliente, Tamara Lich, l’une des organisatrices du convoi de camions, pour tenter de prendre le contrôle ou avoir leur part des 10 millions amassés grâce à une campagne de sociofinancement.

Il a témoigné avoir demandé à l’Albertain Pat King de sortir d’une salle de réunion dans un hôtel d’Ottawa en raison de ses propos incendiaires. L’ex-militaire, Tom Marazzo, en charge de la logistique du convoi dans la capitale fédérale a raconté en après-midi qu’il le percevait comme une « grenade prête à exploser ».

Les organisateurs avaient publié un communiqué le 17 février pour condamner les propos tenus par Pat King sur les réseaux sociaux. L’un des procureurs en chef de la Commission a présenté en preuve un montage vidéo d’extraits dans lesquels il disait que « Trudeau allait se prendre une balle un jour », que « la seule façon que cela allait se régler était avec des balles » et où il tenait des propos racistes.

Invité à témoigner en fin de journée, M. King a affirmé que ses propos avaient été pris hors contexte. « Oui, c’était inapproprié », a-t-il reconnu en faisant allusion à sa première phrase. Il a indiqué avoir dit la première phrase après qu’on l’eut empêché de prendre l’avion parce qu’il n’était pas vacciné contre la COVID-19 et a tenté de nuancer le reste de ses propos.

La Commission sur l’état d’urgence menée par le juge franco-ontarien Paul Rouleau doit déterminer si le recours historique du gouvernement fédéral à la Loi sur les mesures d’urgence était justifié pour mettre fin au « convoi de la liberté » et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays.