(Ottawa) Les camions qui ont paralysé le centre-ville d’Ottawa, le pont Ambassador à Windsor et d’autres postes frontaliers ailleurs au pays, l’hiver dernier, constituaient une menace à la sécurité nationale, selon Peter Sloly. L’ex-chef de la police d’Ottawa a terminé son témoignage à la Commission sur l’état d’urgence lundi.

Il a affirmé qu’il s’agissait d’adversaires coordonnés, capables de « lancer des opérations de commandement et de contrôle » et qui comprenaient les limites des ressources policières.

« Il est évident que le blocage à Windsor, le point le plus loin au sud d’Ottawa, a été conçu pour diviser nos ressources à deux endroits importants et à haut risque », a-t-il affirmé dans un contre-interrogatoire avec l’avocate du gouvernement fédéral, Donnaree Nygard.

Il s’agissait pour lui du « premier vrai signal » que le convoi de camions installé à Ottawa et les autres blocages ailleurs au pays constituaient une menace à la sécurité nationale.

Or, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et la Police provinciale de l’Ontario hésitaient à fournir les 1800 agents supplémentaires demandés parce que la police d’Ottawa n’avait pas de plan, selon un extrait de la déposition du ministre de la Protection civile, Bill Blair, présentée en preuve lundi.

L’enquête publique menée par le juge franco-ontarien Paul Rouleau doit déterminer si le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement fédéral était justifié. Il s’agit de l’un des garde-fous inclus dans cette législation.

À la recherche de remorqueuses sur Kijiji

Quelques informations étonnantes ont fait surface lors du témoignage de M. Sloly. Celui-ci a affirmé que la GRC a consulté le site de petites annonces Kijiji « pour trouver des remorqueuses pour les poids lourds au Canada ».

Les autorités avaient de la difficulté à trouver des propriétaires de camions-remorques prêts à enlever les centaines de véhicules qui bloquaient le centre-ville. Certains avaient peur des représailles, d’autres soutenaient le « convoi de la liberté » qui s’opposait aux mesures sanitaires contre la COVID-19 et l’obligation vaccinale pour les camionneurs. La Loi sur les mesures d’urgence leur avait donné le pouvoir de réquisitionner leurs services.

Les noms de Bob Rae, ex-chef intérimaire du Parti libéral du Canada et actuel ambassadeur du Canada aux Nations unies, de l’ex-juge de la Cour suprême, Louise Arbour, et de l’ex-sénateur Murray Sinclair ont été avancés par M. Sloly comme négociateurs potentiels avec les organisateurs du « convoi de la liberté ». C’était le 6 février, un peu plus d’une semaine après l’arrivée des camions dans la capitale fédérale.

L’ancien chef de police répondait alors à une question du sous-ministre de la Sécurité publique, Rob Stewart, qui demandait s’il pouvait y avoir un groupe de négociateurs pour mettre fin à la manifestation. M. Sloly a indiqué que la police était sur le point de retenir les services de la firme Advanced Symbolics Inc. (ASI) pour évaluer la réaction générée par les noms de ces interlocuteurs potentiels grâce à l’intelligence artificielle.

Navigator payée 185 000 $

ASI n’était pas la seule firme de consultants embauchée par M. Sloly qui a aussi eu recours aux services de Navigator, la même société de gestion de crise embauchée par Hockey Canada l’été dernier. Selon les témoignages entendus et les preuves présentées à la Commission, ASI et Navigator en menaient large au sein de la police d’Ottawa durant la crise, au point d’assister à des réunions de l’état-major, de leur dire comment ils devraient mener leurs opérations sur le terrain et de travailler au sein même du quartier général.

La facture de Navigator présentée en preuve indique que la police d’Ottawa a payé la firme 185 992,85 $ pour environ 185 heures de travail effectué du 30 janvier au 15 février. La firme a produit un rapport le 6 février sur la réputation de M. Sloly sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels. Elle conclut que seulement 1 % des publications sur les réseaux sociaux exigeaient alors la démission du chef de police. Peter Sloly a fini par quitter son poste neuf jours plus tard.

Cette information a été soulevée par l’avocat de la police d’Ottawa, David Migicovsky, lundi lors d’un contre-interrogatoire acrimonieux de M. Sloly. Le juge Paul Rouleau a dû intervenir à quelques reprises pour calmer le jeu de part et d’autre.

M. Sloly a indiqué qu’il avait embauché Navigator en consultation avec la Commission de services policiers d’Ottawa, chargée de superviser le travail de la police.

Des employés de Navigator et la présidente-directrice générale d’ASI, Erin Kelly, participaient à des réunions avec l’état-major de la police d’Ottawa pour tenter de trouver des solutions à la crise. Cette dernière est allée jusqu’à suggérer en réunion que le convoi de camions était un « problème national et que le premier ministre devait nous sortir de ça », en faisant référence à Justin Trudeau, selon des notes prises lors d’une réunion tenue quelques jours après l’arrivée des camions dans la capitale fédérale. Elle a également affirmé que la police devait adopter « une stratégie de communication pour démontrer que le problème allait au-delà [de la ville] d’Ottawa ».

Un consultant de Navigator a suggéré, quant à lui, que la police utilise de l’équipement antiémeute pour montrer qu’elle faisait quelque chose. M. Sloly leur demandait alors ce qu’il pouvait faire de plus. « Je recevais des conseils de communication », s’est-il défendu. Il a aussi nié que les consultants discutaient de tactiques policières.

C’étaient pourtant les craintes des officiers supérieurs, Patricia Ferguson et Steve Bell, qui relevaient alors directement de M. Sloly. Steve Bell, qui est devenu chef intérimaire de la police d’Ottawa après le départ de M. Sloly, considérait qu’il était « inapproprié » que les opérations policières soient menées selon la stratégie de communication de Navigator. M. Bell a mis fin au contrat de Navigator après sa nomination comme chef intérimaire.

Des membres des Farfadaas et de Diagolon témoigneront

Les leaders de deux groupes d’opposition aux mesures sanitaires, considérés comme extrémistes par la police, seront appelés à donner leur version des faits à la Commission sur les mesures d’urgence. Steeve Charland, des Farfadaas, fera partie des trois manifestants qui répondront mardi aux questions des procureurs. Le fondateur de Diagolon, Jeremy Mackenzie, doit quant à lui témoigner vendredi du pénitencier où il est détenu. Son nom vient d’être ajouté à la liste des 66 témoins. Son avocat demande toutefois une ordonnance de non-publication parce qu’il estime que certaines informations pourraient porter préjudice à son client. Jeremy Mackenzie a été arrêté à la fin du mois de septembre et fait face à une série d’accusations relatives aux armes à feu. Son avocat fait valoir que le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a déjà décrit Diagolon comme un groupe « d’extrême droite » dont le but est « de renverser le gouvernement » pour justifier le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. M. Mackenzie rejette cette étiquette.