(Ottawa) Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, est sommé de témoigner à la Commission sur l’état d’urgence, que cela lui plaise ou non. Une citation à comparaître lui a été envoyée lundi ainsi qu’à la ministre Sylvia Jones, qui était responsable de la sécurité publique l’hiver dernier. Tous deux ont refusé de participer à cette enquête publique fédérale jusqu’ici et ils contesteront cette nouvelle requête.

« Nous espérions que le premier ministre Ford et la ministre Jones accepteraient de témoigner à la Commission volontairement », écrivent ses procureurs principaux, Shantona Chaudhury et Jeff Leon, dans une lettre destinée aux avocats de l’Association canadienne des libertés civiles, des résidants et commerçants du centre-ville d’Ottawa et de la Canadian Constitution Foundation. Ils avaient tous demandé que M. Ford et Mme Jones témoignent.

« Cependant, puisqu’ils ont décliné nos invitations répétées, la Commission [leur] a envoyé des sommations à comparaître en vertu de la partie 4 de la Loi sur les enquêtes », concluent les procureurs.

Cette information contredit les propos de M. Ford la semaine dernière. Le premier ministre ontarien avait répondu aux journalistes qu’on ne lui avait pas demandé de témoigner. Il avait également salué le travail de la Police provinciale de l’Ontario et s’était dit en accord avec le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

L’enquête publique, menée par le juge franco-ontarien Paul Rouleau, tente de déterminer s’il était justifié pour le gouvernement fédéral de recourir à cette législation pour la première fois de son histoire afin de mettre fin au convoi de camions à Ottawa et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays.

Joute politique

La joute politique entre le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford et le gouvernement libéral de Justin Trudeau a peu été abordée dans les témoignages à ce jour. M. Ford était alors à moins de six mois de l’élection qui allait le maintenir au pouvoir, et certains conservateurs fédéraux avaient donné leur appui aux manifestants.

Le premier ministre Trudeau et le maire d’Ottawa, Jim Watson, un ancien ministre libéral, avaient fait allusion à cet affrontement politique dans un appel téléphonique dont le contenu a été présenté en preuve la semaine dernière1. Ils avaient exprimé leur frustration face à l’inaction de M. Ford. Le centre-ville de la capitale fédérale, située en Ontario, était alors paralysé par des centaines de camions, et la police locale était complètement dépassée par les évènements. Le premier ministre ontarien avait même refusé de participer à une table tripartie fédérale-provinciale-municipale.

« Nous devrions entendre le premier ministre nous expliquer pourquoi il a donné comme instruction à ses ministres et à ses hauts fonctionnaires de ne pas y participer et de ne pas faire tout ce qu’ils pouvaient pour mettre fin à cette crise », a réagi l’avocat Paul Champ, qui représente les résidants et les commerçants du centre-ville d’Ottawa.

Dans leur lettre, les procureurs de la Commission indiquent que le premier ministre ontarien et la solliciteuse générale ont d’abord décliné une première demande d’entrevue le 19 septembre. Plusieurs autres demandes ont ensuite été envoyées et ont toutes été refusées, écrit MChaudhury. La Commission leur a ensuite demandé à plusieurs reprises de témoigner, ce qu’ils ont également refusé.

Contestation

Le Procureur général de l’Ontario contestera cette citation à comparaître en invoquant l’immunité parlementaire, a fait savoir son attaché de presse, Andrew Kennedy, dans une déclaration envoyée aux médias.

Il fait valoir que le gouvernement de l’Ontario a déjà fourni amplement d’information – environ 800 documents, selon les chiffres de la Commission. Deux de ses hauts fonctionnaires à la Sécurité et aux Transports doivent également témoigner.

« Dans l’ensemble, nous avons toujours été d’avis qu’il s’agissait d’une question policière et que les témoins de la police qui témoignent sont les mieux placés pour fournir à la Commission les éléments de preuve dont elle a besoin », a-t-il ajouté.

La firme Navigator en menait large

La firme de consultants Navigator en menait large durant le « convoi de la liberté », au point d’assister à des réunions entre les hauts dirigeants de la police d’Ottawa, de leur dire comment ils devraient mener leurs opérations sur le terrain et de travailler au sein même du quartier général. Une décision de l’ancien chef de police Peter Sloly qui était inappropriée, selon son remplaçant Steve Bell.

Cette information est contenue dans la déposition du chef intérimaire de la police qui a témoigné lundi. « C’était atypique pour moi », a-t-il affirmé, sans aller jusqu’à condamner la décision de son ancien supérieur.

Navigator est la même société de gestion de crise embauchée par Hockey Canada l’été dernier. L’organisation voulait alors changer la perception du public sur un premier fonds qui avait notamment servi à couvrir les réclamations pour agression sexuelle.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Steve Bell est devenu temporairement chef du Service de police d’Ottawa après la démission surprise de Peter Sloly, au plus fort de la crise.

M. Sloly avait retenu ses services dans le but d’obtenir des conseils en matière de communication stratégique durant le « convoi de la liberté ».

Le président de Navigator avait identifié l’absence de réaction de la police comme un problème lorsqu’un groupe de personnes avait enlevé des clôtures installées pour protéger le Monument commémoratif de guerre et avait dit à M. Bell qu’il « devrait adopter une approche plus active ». Ce dernier a mis fin au contrat après sa nomination comme chef intérimaire.

Pour lui, il était « inapproprié » que les opérations policières soient menées selon la stratégie de communication de Navigator. Il estime que le Service de police d’Ottawa devait plutôt élaborer son plan d’action et ensuite y ajouter une stratégie de communication pour le soutenir.

La police d’Ottawa n’a pas indiqué lundi combien avaient coûté les conseils de Navigator.

1. Lisez « Trudeau et le maire d’Ottawa frustrés par l’inaction de Ford »