(Ottawa) Une note de service adressée au premier ministre Justin Trudeau confirme que les blocages des postes frontaliers durant le « convoi de la liberté », l’hiver dernier, ont eu peu d’impact sur l’économie canadienne. La vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, avait pourtant affirmé le contraire en juin.

Cette note de service datée du 6 avril et classée « secret » détaille les données de Statistique Canada sur la circulation des biens en février. La Presse en a obtenu une copie en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Ces données « confirment que les blocages des postes frontaliers en février ont eu un impact limité sur la circulation des biens puisque la baisse d’affluence aux passages frontaliers touchés a été en partie compensée par une activité commerciale accrue à d’autres passages », écrivent des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé en faisant référence aux données de Statistique Canada publiées la veille.

« Cela suggère que les manifestations à la frontière n’ont probablement pas perturbé de manière significative [sic] l’activité économique canadienne en février, conformément à l’estimation anticipée du PIB réel, qui prévoit une croissance de 0,8 % », ajoutent-ils.

Recours historique

Deux mois plus tard, la ministre Chrystia Freeland continuait de justifier le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence. « Des dizaines de millions de dollars d’échanges commerciaux quotidiens ont été perturbés en raison des blocages aux passages frontaliers », avait-elle soutenu lors de son témoignage devant le comité parlementaire qui examine si le gouvernement a eu raison de déclarer l’état d’urgence.

Elle avait ensuite cité d’autres chiffres de Statistique Canada sur les échanges commerciaux quotidiens qui transitent normalement par les postes frontaliers alors bloqués : 48 millions à Coutts, en Alberta, 73 millions à Emerson, au Manitoba, et 390 millions au pont Ambassador de Windsor, en Ontario.

« Trente pour cent de tous les échanges routiers entre le Canada et les États-Unis passent par ce pont, avait-elle fait remarquer. La confiance partout dans le monde envers le Canada en tant que destination d’investissement était minée. »

C’est ce qu’a fait valoir aussi son attachée de presse, Adrienne Vauphas, lundi. « La confiance internationale envers le Canada comme endroit propice aux investissements et pour faire des affaires était ébranlée — ce que la vice-première ministre a entendu directement de la part des chefs d’entreprise et de nos partenaires internationaux », a-t-elle rappelé par courriel.

« Déplorable »

Le député du Bloc québécois Rhéal Fortin et le sénateur Claude Carignan y voient plutôt la preuve que le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence, qui donnait au gouvernement des pouvoirs extraordinaires, était disproportionné, et ce, même si le centre-ville d’Ottawa était paralysé et que le centre commercial le plus achalandé de la capitale fédérale a été fermé durant trois semaines.

« La demande des policiers, ce n’est pas vrai, rappelle Rhéal Fortin, qui copréside le comité d’examen de la déclaration de l’état d’urgence. La crise économique, ce n’est pas vrai. Les towings, c’est douteux, c’est ordinaire en maudit, mais c’est tout ce qu’il nous reste. »

« On aurait proclamé la Loi sur les mesures d’urgence — qui est l’enfant de la Loi sur les mesures de guerre — parce qu’on ne trouvait pas de towings pour remorquer les camions, a-t-il ajouté. Je trouve ça déplorable et même inquiétant. »

Claude Carignan, vice-président du comité d’examen, fait remarquer que la police de Windsor a commencé à remorquer les camions qui bloquaient le pont Ambassador le 13 février, soit la veille de la déclaration de l’état d’urgence.

Le jour même, le pont était complètement rouvert à la circulation.

« Cette décision-là est une décision politique, une réaction beaucoup trop forte pour une situation qui n’était quand même pas mineure, mais qui n’était pas de nature à amener la déclaration sur les mesures d’urgence », affirme-t-il en entrevue. Critiqué de toutes parts, le gouvernement voulait montrer « qu’il faisait quelque chose », à son avis.

Le sénateur québécois appuie Pierre Poilievre dans la course à la direction du Parti conservateur, lequel avait défendu les participants du « convoi de la liberté » opposés à la vaccination obligatoire alors imposée aux fonctionnaires et aux employés du secteur des transports par le gouvernement fédéral.

Le comité d’examen parlementaire est l’un des deux mécanismes prévus dans la loi pour évaluer si le recours à l’état d’urgence était justifié. Une enquête publique sera également effectuée. Les travaux de la commission, dirigée par le juge ontarien Paul Rouleau, ont débuté, mais on attend toujours les audiences qui doivent se terminer au plus tard en octobre. Le rapport final doit être déposé au Parlement avant le 20 février 2023.

Avec William Leclerc, La Presse