(Ottawa) Une loi interdisant toute relation avec les talibans, dont les organisations caritatives disent qu’elle entrave leur capacité à aider les Afghans dans le besoin, pourrait être ajustée par le gouvernement fédéral pour donner plus de flexibilité aux agences d’aide.

Le ministre du Développement international, Harjit Sajjan, a indiqué que le gouvernement envisageait d’apporter des modifications à la loi pour créer une « flexibilité » afin de faciliter l’aide humanitaire.

Cependant, dans une entrevue avec La Presse Canadienne, il a insisté sur le fait que le Canada ne lèverait pas la désignation des talibans en tant qu’organisation terroriste prescrite.

« Nous examinons des options sur ce que nous pouvons faire pour créer cette flexibilité dont disposent d’autres pays, a-t-il expliqué. Les États-Unis peuvent actuellement faire plus de travail que nous, au moins avoir la possibilité de faire plus de choses là-bas. Nous envisageons des exemptions similaires que nous pouvons créer tant que nous pouvons maintenir la pression sur les talibans, car il s’agit d’une entité terroriste. »

Un règlement listant les talibans comme entité terroriste a été adopté en 2013, avant que les alliés ne se retirent du pays et que les talibans prennent le contrôle de Kaboul et forment un gouvernement de facto l’année dernière.

En vertu de la législation antiterroriste, les Canadiens risquent jusqu’à 10 ans de prison s’ils mettent, directement ou indirectement, des biens ou des finances à la disposition des talibans.

Les organismes d’aide canadiens travaillant en Afghanistan se plaignent que la loi entrave leur travail parce qu’ils ne peuvent pas aider quiconque pourrait avoir des relations officielles avec le gouvernement afghan, y compris les personnes qui paient un loyer ou des impôts.

Ils ont également critiqué le Canada pour ne pas avoir ajusté sa réglementation à la suite d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de décembre 2021 qui stipulait que « l’aide humanitaire et d’autres activités qui soutiennent les besoins humains fondamentaux en Afghanistan » ne violeraient pas le régime de sanctions du conseil.

Témoignant devant un comité parlementaire spécial sur l’Afghanistan plus tôt cette année, Michael Messenger, président de Vision mondiale Canada, a souligné que le Canada était « en décalage » avec d’autres pays, dont les États-Unis, qui ont apporté des changements pour faciliter l’aide humanitaire à la suite de la résolution de l’ONU.

Dix organisations humanitaires ont présenté un mémoire au comité parlementaire demandant aux ministres d’assouplir ses lois afin qu’elles puissent travailler sur le terrain en Afghanistan sans craindre d’enfreindre les lois antiterroristes du Canada.

Dans son rapport officiel du mois dernier, le comité a recommandé que le gouvernement « veille à ce que les organisations canadiennes enregistrées aient la clarté et les assurances nécessaires — telles que des exclusions ou des exemptions — pour fournir une aide humanitaire et répondre aux besoins fondamentaux en Afghanistan sans crainte de poursuites pour avoir enfreint les lois antiterroristes du Canada. »

Le ministre Sajjan a indiqué que malgré les interdictions de traiter avec les talibans, le Canada avait continué à fournir d’importants montants d’aide à l’Afghanistan par le biais d’agences telles que l’ONU et la Croix-Rouge.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre du Développement international, Harjit Sajjan

Mais il a reconnu que la loi, introduite avant que les talibans ne forment le gouvernement, empêchait certaines formes d’aide, y compris « des projets de développement où vous devez travailler à travers la structure du gouvernement ».

Il a ajouté que le Canada avait injecté environ 150 millions en Afghanistan, y compris pour aider les gens à la suite du récent tremblement de terre qui a tué plus de 1000 personnes et fait plus de 1500 blessés.

La catastrophe a frappé une région éloignée près de la frontière pakistanaise, endommageant plus de 10 000 maisons, dont la plupart sont faites d’argile et de boue. Immédiatement après le séisme, les talibans ont lancé un appel à l’aide à la communauté internationale.

« La loi ne nous a pas empêchés d’aider le peuple afghan, a souligné le ministre du Développement international. Nous pouvons encore aider le peuple afghan, mais nous examinons toujours les options pour obtenir les exemptions. »

Lauryn Oates, directrice exécutive de Canadian Women for Women in Afghanistan, a témoigné que les groupes humanitaires recevaient des conseils juridiques contradictoires sur ce que les règles les autorisent à faire ou non en Afghanistan.

Elle a ajouté que la loi antiterroriste empêchait les travailleurs humanitaires canadiens de payer des impôts locaux, y compris sur le loyer ou les salaires. Or, les travailleurs humanitaires pourraient être emprisonnés en Afghanistan s’ils ne paient pas d’impôts, en vertu des lois locales.

La loi rend également plus difficile le financement de bourses pour les femmes et les filles afghanes dans les universités privées et crée d’énormes quantités de paperasse, a-t-elle précisé. Une bourse ne peut désormais être accordée que si l’université s’engage à ce que l’argent, même de petites sommes, ne soit pas utilisé pour payer des impôts.

Mme Oates a déploré qu’elle craigne qu’un changement de loi ne prenne des années alors que l’aide est nécessaire de toute urgence dans le pays appauvri.

« Nous avons besoin d’une solution provisoire innovante maintenant, a-t-elle conclu. D’autres pays ont été capables de les proposer et le Canada est à la traîne. »