Informé dès la fin d’avril de vulnérabilités sur le pont Pierre-Laporte, le ministère des Transports du Québec (MTQ) a tout de même tardé à réclamer des travaux urgents, dénonce le syndicat des ingénieurs de l’État. Ces derniers s’inquiètent de la lenteur des autorités à remplacer les suspentes jugées en piteux état.

« C’est scandaleux comme situation. On a fait rentrer des gens en urgence pour livrer des services essentiels durant la grève, mais attribuer ce contrat-là en particulier, ce n’est pas urgent ? Quel double discours ! Ça fait un mois et demi que mes équipes attendent que le Ministère autorise les contrats en urgence pour remplacer ces suspentes-là », fustige le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec, Marc-André Martin. Selon lui, le MTQ aurait pu agir « beaucoup plus tôt ».

photo patrice laroche, archives Le Soleil

Marc-André Martin, président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec

Sa sortie survient au surlendemain de révélations de l’émission Enquête de Radio-Canada, qui a démontré que les suspentes du pont Pierre-Laporte sont de moins en moins résistantes.

D’après un rapport produit par deux ingénieurs du ministère des Transports, qui a été transmis à de hauts gestionnaires à la fin du mois d’avril, certaines suspentes pourraient même « céder à tout moment ». Ces hauts gestionnaires auraient d’ailleurs été au fait de la situation avant même de recevoir le rapport.

M. Martin s’explique mal comment le Ministère a pu laisser aller cette situation. Car selon les services essentiels négociés en mai dernier, dans le contexte de la grève des ingénieurs, « deux contrats devaient être octroyés en urgence pour le pont Pierre-Laporte : l’un pour la consolidation des suspentes, l’autre pour le remplacement de plusieurs suspentes », dit-il.

Le syndicat affirme avoir fait « plusieurs suivis » dans les dernières semaines en lien avec le remplacement de ces suspentes, sans jamais avoir de nouvelles. « Il y a quelques semaines, on avait même tenu une conférence de presse pour alarmer la population, avec des témoignages sous serment de hauts directeurs qui disaient clairement que le pont avait des problèmes structuraux. Mais le gouvernement nous a dit qu’on était irresponsables de se servir de la sécurité de la population comme moyen de pression », insiste le président.

« Qui est aux commandes du MTQ ? Ce qu’on voit, c’est que, quand les ingénieurs de l’État ne sont pas là, ce qui se fait, c’est un peu n’importe quoi », poursuit le syndicaliste, dont les membres menacent de retourner en grève générale illimitée dès mardi prochain.

Des travaux cet été, promet Bonnardel

Appelé à réagir, le MTQ n’avait pas répondu aux questions de La Presse, au moment de publier. Dans un communiqué publié jeudi, le Ministère a toutefois assuré prendre « très au sérieux les informations rendues publiques », jugeant « important de faire la lumière sur la situation ».

Le ministre des Transports, François Bonnardel, a quant à lui jugé « inacceptable » de n’avoir pas été informé plus tôt du rapport signé par les deux ingénieurs du gouvernement. Ce dernier montre une « diminution importante et accélérée » de la résistance des suspentes. L’élu dit avoir « appris l’existence » de ce rapport mardi, soit tout juste avant la parution du reportage de l’émission Enquête.

« Mon sous-ministre va faire toute la lumière sur le processus qui a mené à ce cafouillage. Il a déjà posé des gestes », a indiqué M. Bonnardel. Il affirme qu’une « firme externe sera mandatée pour examiner le processus qui a mené à ces erreurs ».

Photo Hugo-Sébastien Aubert, archives LA PRESSE

François Bonnardel, ministre des Transports

Déjà, le Ministère prévoyait remplacer les suspentes dans un échéancier de 15 ans, mais nous allons accélérer la cadence. Ça ne prendra pas 15 ans.

François Bonnardel, ministre des Transports

Dès cet été, Québec compte « consolider une quarantaine de suspentes, qui se dégradent plus rapidement à cause de la corrosion », a aussi promis le ministre, en s’engageant à « mettre en branle le remplacement de toutes les suspentes, tel que recommandé dans le rapport, rapidement ».

Québec maintient néanmoins que tous les moyens seront employés pour « assurer la sécurité des usagers ». « Je veux rassurer les citoyens. Le Ministère m’assure que le pont est sécuritaire en ce moment. […] Si nous avions le moindre doute, nous n’hésiterions pas à le fermer le temps de faire les travaux », a poursuivi l’élu.

Plus tôt cette année, Québec avait fait valoir que la forte hausse des coûts liés au pont Pierre-Laporte était un argument de plus en faveur d’un troisième lien. Le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, s’est rangé derrière cet argument jeudi. À Québec, le maire Bruno Marchand a toutefois jugé que les deux dossiers sont « indépendants », et que l’un ne peut justifier l’autre.

Principaux chantiers sur les ponts de Québec

– Consolider une quarantaine de suspentes jugées en état de dégradation accélérée sur le pont Pierre-Laporte.

– Remplacer le reste des 120 suspentes du pont Pierre-Laporte, au cours des prochains mois.

– Procéder à la réfection du tablier, qui serait « affligé de multiples problèmes », sur le pont de Québec.

– Achever les autres travaux d’entretien réguliers sur les deux ponts, qui sont nombreux. En 2021-2022 seulement, la facture des chantiers sur le pont Pierre-Laporte a dépassé 30 millions de dollars.

– Au cours des cinq dernières années, 95 millions ont été investis pour divers travaux et inspections sur la structure du pont Pierre-Laporte.

En savoir plus
  • 1970
    Année où le pont Pierre-Laporte a été ouvert à la circulation
    Source : ministère des Transports du Québec
  • 1041
    Nombre de mètres que mesure le pont Pierre-Laporte. C’est le plus long pont suspendu au Canada.
    Source : ministère des Transports du Québec
  • 125 000
    Nombre approximatif de véhicules qui empruntent le pont Pierre-Laporte quotidiennement, dont près d’un sur dix est un véhicule lourd
    Source : ministère des Transports du Québec