Le gouvernement Legault repoussera d’un an l’entrée en vigueur d’une importante modification de la Charte de la langue française, qui obligera l’État à communiquer « uniquement » en français par écrit avec toutes les personnes morales établies au Québec, a appris La Presse.

Ce changement avait été promulgué par une loi en 2002, mais les dispositions touchant les communications écrites de l’État n’ont jamais été mises en application. Le ministre de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, a finalement décrété leur mise en œuvre en mai 2021, presque deux décennies plus tard. Les mesures devaient entrer en vigueur la semaine prochaine.

Ce décret a été suivi peu après par le dépôt du projet de loi 96, qui viendra considérablement modifier la Charte de la langue française. La loi du ministre Jolin-Barrette contient elle aussi des clauses pour systématiser l’usage du français dans la fonction publique, qui devront être appliquées à partir de juin 2023.

C’est pour « arrimer » la loi péquiste de 2002 avec la nouvelle charte que Québec repoussera d’un an la mise en vigueur de l’article sur les communications écrites de l’État, a indiqué M. Jolin-Barrette dans une déclaration écrite à La Presse.

Cet arrimage a « toujours » été l’intention du ministre, mais les débats sur le projet de loi 96 ont pris plus de temps que ce à quoi il s’attendait, affirme-t-on à son cabinet. La loi a été sanctionnée le 1er juin dernier, et ses différentes clauses entreront en vigueur graduellement au cours des trois prochaines années.

Selon nos informations, le Conseil des ministres adoptera sous peu un décret pour confirmer ce report d’un an.

Historique compliqué

L’usage exclusif du français dans les communications écrites du gouvernement a été prévu dès l’adoption de la Charte de la langue française en 1977, en vertu de l’article 16 de la loi 101. Ces dispositions ont été levées en 1993 par le gouvernement libéral, assouplissement qui a contribué à une « bilinguisation institutionnelle de l’administration », selon une commission sur l’avenir du français constituée en 2000.

Le gouvernement péquiste de Bernard Landry a en conséquence adopté la Loi modifiant la Charte de la langue française en 2002. Il n’a toutefois jamais mis en application l’article sur les communications écrites de l’État.

La « mise en veilleuse de cet article » tire à sa fin, a fait valoir le ministre Jolin-Barrette lorsqu’il a annoncé son décret en mai 2021. Les changements qui entreront en vigueur en juin 2023 seront nombreux et viendront, selon lui, « corriger cette importante lacune ».

Tous les ministères, les organismes gouvernementaux, municipaux et scolaires ainsi que les établissements de santé et de services sociaux seront tenus de communiquer exclusivement en français par écrit avec les différentes entreprises de la province, de même qu’avec les autres gouvernements.

Québec déterminera quelques « exceptions » à cette règle, par exemple dans le secteur du tourisme, mais l’objectif reste de démontrer l’« exemplarité » de l’État en matière d’usage du français, a-t-on indiqué au cabinet du ministre. « La norme, ça deviendra le français. »

Les exceptions seront définies dans la future politique linguistique de l’État, qui sera élaborée au cours de la prochaine année. Celle-ci doit entrer en vigueur dans un an.

Controverse

L’article de loi de 2002 ne s’appliquera pas aux communications entre l’appareil gouvernemental et les citoyens. Plusieurs dispositions de la nouvelle loi sur la réforme de la Charte de la langue française y toucheront cependant.

Par exemple, les immigrants ne pourront communiquer autrement qu’en français avec le gouvernement, six mois après leur arrivée au Québec.

De nombreux groupes, y compris des chercheurs mandatés par Québec, jugent cette exigence inhumaine et inapplicable.

La loi 96 prévoit aussi une série de mesures pour renforcer l’usage du français dans les milieux de travail. Les PME de 25 employés et plus – plutôt que 50 aujourd’hui – devront entre autres se soumettre à des obligations de francisation accrues et toutes les entreprises devront prouver que le bilinguisme est nécessaire lorsqu’elles le requièrent pour un nouveau poste.

Le milieu des affaires est inquiet. Une coalition de chefs d’entreprises technologiques a lancé mardi matin un avertissement quant à la possibilité d’un exode des emplois, crainte aussitôt balayée d’un revers de main par le ministre Jolin-Barrette.