(Ottawa ) Des enfants détenant la citoyenneté américaine font partie des quelque 10 000 migrants qui ont traversé de manière irrégulière la frontière canado-américaine à partir du chemin Roxham depuis sa réouverture, en novembre dernier.

Des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information indiquent le pays d’origine des milliers de migrants qui sont arrivés au Québec en passant par le fameux chemin Roxham, situé à proximité du poste-frontière de Saint-Bernard-de-Lacolle.

Ces documents révèlent qu’au moins 137 enfants nés aux États-Unis et détenant ainsi la citoyenneté américaine font partie des 9632 personnes qui ont franchi la frontière d’une manière irrégulière entre le 21 novembre, date de la réouverture du chemin par le gouvernement Trudeau, et le 23 mars. Ces documents permettent donc d’établir pour la première fois que des personnes ayant la nationalité américaine réclament le statut de réfugié.

Bon nombre des migrants irréguliers qui ont été interceptés par les autorités canadiennes au cours des derniers mois étaient originaires de pays tels que le Pakistan, la Colombie, l’Éthiopie, Haïti, le Zimbabwe, le Yémen, le Cameroun, le Congo, le Chili, le Sri Lanka, le Rwanda, l’Angola, le Gabon, la Syrie, le Nicaragua et le Nigeria, entre autres.

Ces documents permettent aussi d’établir qu’une moyenne de 79 personnes par jour ont traversé la frontière canado-américaine durant cette période de quatre mois. Sur une période de 12 mois, une telle moyenne se traduirait par l’arrivée de près de 29 000 migrants irréguliers.

Or, les autorités fédérales s’attendent à ce que cette moyenne quotidienne augmente avec l’arrivée du beau temps, comme ce fut le cas avant la pandémie de COVID-19, prévient-on en coulisses.

Quel sort est réservé aux mineurs qui détiennent la citoyenneté américaine et qui accompagnent leurs parents ayant une autre nationalité ? Le ministère de l’Immigration a indiqué à La Presse que les procédures habituelles s’appliquent et que leur demande est traitée de la même manière que les autres.

« Tous les demandeurs d’asile bénéficient d’une audience équitable à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, un tribunal quasi judiciaire indépendant. Chaque cas est évalué selon les circonstances qui lui sont propres, en fonction des éléments de preuve et des arguments présentés », a-t-on indiqué au Ministère.

Au préalable, les autorités canadiennes font les vérifications nécessaires pour s’assurer que les migrants interceptés ne posent pas une menace à la sécurité du Canada et pour déterminer si elles sont admissibles à présenter une demande d’asile. Ce filtrage de sécurité comprend des vérifications des données biographiques et biométriques comme la prise d’empreintes digitales. Par la suite, la démarche visant à obtenir une demande d’asile peut être entamée.

La reprise du flot de migrants irréguliers au chemin Roxham constitue une pomme de discorde entre Ottawa et Québec.

Urgence de modifier l’Entente sur les tiers pays sûrs

Selon le député conservateur Pierre Paul-Hus, l’arrivée d’enfants ayant la citoyenneté américaine confirme l’urgence de modifier l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis.

« C’est une situation qui démontre que les libéraux doivent réparer la brèche dans l’Entente sur les tiers pays sûrs. Quand des enfants nés aux États-Unis de parents immigrants demandent refuge au Canada, on voit bien qu’il y a un problème. Pourquoi les parents n’ont-ils pas demandé asile aux États-Unis pendant toutes ces années ? », s’est interrogé M. Paul-Hus.

Le Bloc québécois réclame la suspension de cette entente dans les plus brefs délais.

« Ce qui est certain, c’est que ce ne sont pas les demandeurs qui sont le problème, mais bien le gouvernement qui refuse de prendre en main la situation. On anticipe l’arrivée de 35 000 personnes au chemin Roxham cette année et le premier ministre reste les bras croisés, alors qu’il peut unilatéralement fermer le chemin Roxham en suspendant l’Entente sur les tiers pays sûrs », a affirmé le député Alexis Brunelle-Duceppe, porte-parole du Bloc québécois en matière d’immigration.

Permettre aux femmes, enfants et familles qui traversent actuellement par la porte de côté de traverser par une entrée officielle, sécuritaire et régulière, c’est quelque chose qui devrait aller de soi et de surcroît, qui est réclamé par les associations qui défendent les réfugiés.

Alexis Brunelle-Duceppe, porte-parole du Bloc québécois en matière d’immigration.

En vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs, seuls les individus qui présentent une demande d’asile à un poste frontalier officiel sont refoulés en territoire américain. En décembre, La Presse a rapporté qu’Ottawa et Washington avaient convenu de colmater la brèche qu’est devenu le chemin Roxham.

Les deux pays sont prêts à modifier cette entente de sorte que les autorités canadiennes auraient le pouvoir de refouler un demandeur d’asile aux États-Unis, peu importe s’il se présente à un point d’entrée officiel de la frontière canado-américaine pour faire cette demande ou s’il la dépose après avoir traversé la frontière d’une manière irrégulière.

Loin d’être prioritaire

Mais avant de mettre en œuvre cette nouvelle entente, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, et le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, doivent adopter les règlements pertinents appliquant les changements. Leurs homologues américains doivent en faire autant. Et à Washington, ce dossier est loin d’être prioritaire, ce qui retarde l’entrée en vigueur des modifications.

Le mois dernier, le premier ministre du Québec, François Legault, a réclamé qu’Ottawa procède sans délai à la fermeture du chemin Roxham, qui est devenu selon lui une « passoire ».

Mais son homologue fédéral Justin Trudeau a écarté une telle option au motif que cela ne ferait que déplacer le problème à un autre point d’entrée de la frontière.

« Si on fermait le chemin Roxham, les gens passeraient ailleurs. On a une frontière énorme. On ne va pas commencer à l’armer ou mettre des clôtures dessus », avait-il fait valoir. « S’il y a des gens qui vont arriver de façon irrégulière, on peut au moins les contrôler, on peut au moins faire des vérifications de sécurité, on peut au moins s’assurer qu’ils ne soient pas perdus à l’intérieur du Canada. »

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse