(Québec) Études d’impacts « moins achevées », évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) plus courte : le gouvernement Legault a élagué la réglementation environnementale avec sa loi pour accélérer les projets d’infrastructures mais ils n’avancent pas plus vite.

« On a voulu accélérer l’évaluation environnementale. Mais visiblement, le fait d’accélérer le volet génie-infrastructure pour le déploiement des projets, ça semble poser un défi », affirme le président du BAPE, Philippe Bourke, en entrevue avec La Presse.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe Bourke, président du BAPE

Jusqu'ici, la réalité, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de projets finalement qui se sont avérés. La plupart ont été reportés.

Philippe Bourke, président du BAPE

Dans son plan stratégique 2021-2025, déposé à l’Assemblée nationale au début du mois de mai, le BAPE soulignait que la Loi concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure (projet de loi 66) avait une « incidence directe sur la réalisation de la mission du BAPE au cours des prochaines années, tant par le nombre que par le type de dossiers qui lui seront confiés ». « Ces modifications législatives mettent au défi la rigueur des processus et des pratiques internes de l’organisation », peut-on lire dans le document.

Jeudi matin, La Presse a rapporté qu’un an et demi après l’adoption de cette loi, la moitié des 181 projets d’infrastructure visés par le gouvernement Legault étaient toujours à l’étape de la planification, voire simplement « à l’étude ». C’est un constat similaire qu’a fait le président du BAPE lors d’une entrevue réalisée dans le cadre du dépôt de son plan stratégique, il y a deux semaines. Pour l’instant, le chien de garde n’a étudié qu’un projet prévu dans la loi caquiste, soit la construction du nouveau pont de l’île d’Orléans.

Des projets tombent à l’eau

Le Réseau express métropolitain (REM) de l’Est de la Caisse de dépôt est tombé à l’eau, et deux projets, le pont de l’Île-aux-Tourtes, à Montréal, et l’ajout d’une voie réservée à Lévis, n’ont pas fait l'objet de requêtes pour aller en audience. « Il y avait des projets de prolongement d’autoroutes au Saguenay–Lac-Saint-Jean, en Beauce. Le MTQ nous disait : on pense à telle date, finalement non, six mois plus tard, six mois plus tard. Et ils ne sont plus au calendrier », a expliqué M. Bourke. Même chose pour le projet de pont Gédéon-Ouimet, situé sur l’autoroute 15 et reliant Laval et Boisbriand, qui doit être reconstruit.

« La réalité, c’est qu’on anticipait plusieurs projets, mais ils ne sont pas achevés. Ils ne sont pas à l’étape de venir vers nous. Il reste trois ans à cette loi, il faut toujours anticiper que ça pourrait débouler », ajoute-t-il.

Les observations de M. Bourke sont confirmées par les documents du Conseil du trésor, qui montrent que c’est surtout dans le secteur des transports que le gouvernement a un piètre bilan. Seuls 11 projets sont « en réalisation ». Pas moins de 35 projets sont en planification et 6, à l’étude.

Audiences plus courtes

Concrètement, pour le BAPE, la loi coupe de quatre à trois mois la majorité de ses audiences. L’organisme risque également de recevoir des « études d’impacts moins achevées » de la part du promoteur, puisque le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a « beaucoup moins de temps » pour confirmer leur recevabilité. Concrètement, cela forcera le BAPE à faire un traitement « plus ciblé des enjeux ».

La game change quand tu as un mois de moins pour faire ton travail.

Philippe Bourke, président du BAPE

La stratégique caquiste était déjà critiquée par les groupes environnementaux comme Équiterre, Nature Québec ou Greenpeace Canada, qui demandaient en mars le retrait des clauses environnementales. « La décision d’affaiblir la réglementation environnementale pour accélérer la construction des grands projets d’infrastructure était malavisée, injustifiée et représentait un dangereux précédent. Mais si le gouvernement Legault l’a fait en utilisant l’excuse de la pandémie à l’époque où ses conséquences économiques étaient encore incertaines, force est de constater que même cette excuse ne tient plus la route », dénonçaient-ils.

Les libéraux dénoncent

Selon le député libéral Pierre Arcand, le peu de projets d’infrastructure qui ont démarré montre que le gouvernement Legault est « grand parleur, petit faiseur ». « Comment explique-t-il son incurie ? », a lancé l’élu lors de la période des questions au Salon bleu jeudi.

« La planification, ce n’est pas la précipitation. On va accélérer les projets, mais on va les faire correctement », s’est défendu la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel. De son côté, le ministre des Transports, François Bonnardel, prévient que les délais vont s’allonger pour certains projets avec la grève des ingénieurs.

Le député libéral André Fortin a rappelé qu’au moment de l’adoption du projet de loi 66 en 2020, le gouvernement martelait que les 181 projets devaient se faire « tout de suite », parce que « ça presse », dont un CHSLD à Maniwaki, de nouveau inondé cette année. « Qu’est-ce que vous attendez pour faire avancer ces projets-là ? », a-t-il demandé.

Avec la collaboration de Fanny Lévesque et d’Hugo Pilon-Larose, La Presse