Écoles, hôpitaux, CHSLD, transport collectif : la moitié des infrastructures mises sur la voie rapide par Québec se font attendre

(Québec) Un an et demi après l’adoption d’une loi censée accélérer les mises en chantier, la moitié des 181 projets d’infrastructure ciblés par le gouvernement Legault sont toujours à l’étape de la planification, voire simplement « à l’étude », révèlent de nouveaux documents du Conseil du trésor. C’est le cas pour la réfection de 7 CHSLD et la construction de 10 écoles à Montréal.

Québec a voulu placer ces 181 projets sur la voie rapide grâce à la Loi concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure (projet de loi 66) de la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, adoptée en décembre 2020. La ministre a allégé les règles concernant, entre autres, les expropriations, les autorisations environnementales et municipales.

Cet « électrochoc » permettra d’écourter les délais de quelques mois à trois ans, d’« accélérer des projets qui sont importants » et de contribuer à la relance économique, disait-elle.

Le dossier avait soulevé la controverse à l’Assemblée nationale, surtout avec la première mouture de ce texte législatif présentée par Christian Dubé. L’opposition accusait le gouvernement de vouloir s’arroger trop de pouvoirs.

Or, à l’approche du déclenchement de la campagne électorale, 92 des 181 projets (50,8 %) sont encore « en planification » ou « à l’étude », et deux ont été « retirés », en date du 31 mars dernier.

C’est ce que l’on constate dans la Reddition de comptes des projets d’infrastructures accélérés rendue publique par le Conseil du trésor sans tambour ni trompette lundi. Le gouvernement doit produire ce document deux fois par année en vertu de la loi.

Maisons des aînés

La plupart des 89 projets « en réalisation » sont des infrastructures du secteur de la santé. Il s’agit principalement de 46 maisons des aînés – dont 33 devraient être livrées à l’automne. C’est une promesse électorale du gouvernement.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, et le premier ministre François Legault en visite sur le chantier d’une maison des aînés à L’Assomption, en octobre 2021

Comme La Presse le révélait samedi, les coûts de construction de ces maisons ont bondi de 19 %, soit de 430 millions. La facture atteint maintenant 2,8 milliards, confirmait la Société québécoise des infrastructures.

Sept projets de reconstruction de CHSLD à Montréal sont toujours « en planification », selon les documents du Trésor (David-Benjamin-Viger, Dorval, Grace Dart, Jeanne-Le Ber, Lasalle, Nicolet et Rousselot). L’agrandissement des hôpitaux d’Amos, de La Malbaie et d’Arthabaska est au même stade. Idem pour la construction d’un hôpital à Vaudreuil-Soulanges et la modernisation des urgences de l’hôpital Fleury à Montréal.

C’est pire en Outaouais : la construction d’un hôpital est encore « à l’étude ». Le feu vert n’a pas été donné. Il y a toute une saga au sujet de l’emplacement. Dans les Laurentides, l’agrandissement de l’hôpital de Saint-Eustache est aussi « à l’étude ».

En éducation, 15 écoles primaires et secondaires visées par le gouvernement dans sa loi sont en train de se concrétiser. Mais 20 sont encore en planification, dont la moitié à Montréal (sur le site du Grand Séminaire, dans l’île des Sœurs, dans la Pointe-de-l’Île, à Outremont, dans Saint-Laurent, à Mont-Royal, dans Anjou, à Saint-Léonard, dans L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève).

En enseignement supérieur, aucun des cinq projets n’est en chantier. Le projet d’agrandissement du Collège Dawson a été annulé. L’agrandissement de l’École de technologie supérieure, le réaménagement de l’École Polytechnique et celui du campus de l’Université du Québec en Outaouais sont « à l’étude ». L’agrandissement de l’Université McGill, avec le transfert de l’ancien hôpital Royal Victoria, est en planification.

Projets de transports à la traîne

C’est surtout dans le secteur des transports que le gouvernement a un piètre bilan jusqu’ici. Seuls 11 projets sont « en réalisation ». Pas moins de 35 projets sont en planification et 6, à l’étude.

Selon ce que disait le gouvernement en 2020, deux projets étaient urgents pour des raisons de sécurité et devaient être soustraits à l’examen du BAPE : la « sécurisation » de la route 117 entre Labelle et Rivière-Rouge et l’« amélioration » de l’autoroute 30 entre Brossard et Boucherville. Le premier est « en réalisation », mais le second est toujours « en planification ».

Québec a donné son feu vert au prolongement de la ligne bleue du métro, mais la mise en chantier n’est pas pour bientôt. Le projet est classé dans la catégorie « en planification ».

Comme La Presse le révélait l’an dernier, le prolongement du REM vers Chambly et Saint-Jean-sur-Richelieu a été annulé – « retiré », comme le dit le Trésor.

Pour les huit projets sous la responsabilité de la Société québécoise des infrastructures, quatre sont en réalisation, dont la réfection du 1000, rue Fullum à Montréal et le réaménagement du palais de justice de Saint-Hyacinthe. La rénovation de l’Édifice Gérald-Godin à Montréal est « à l’étude » ; celle du stationnement D’Youville à Québec, « en planification ».

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Sonia LeBel, présidente du Conseil du trésor

Parmi les 90 projets en planification ou à l’étude, certains étaient déjà dans les cartons il y a quatre ans, sous le gouvernement Couillard, reconnaît Sonia LeBel. Ils sont inscrits au Plan québécois des infrastructures depuis des années.

« La planification, ce n’est pas quelque chose qu’il faut escamoter. Il faut la faire de façon correcte et prendre le temps », se défend-elle en entrevue. « Une fois que le projet est planifié, c’est là que la loi 66 entre en jeu. » Jusqu’ici, les pouvoirs exceptionnels prévus à la loi ont été utilisés à 61 occasions pour 48 projets. Mais aucun n’a été nécessaire pour pas moins de 68 projets en cours de réalisation. « On les utilise quand on en a besoin », dit Sonia LeBel.

La présidente du Conseil du trésor souligne que la loi a une durée de cinq ans. « Donc ce n’est pas terminé », insiste-t-elle.

Parmi les 181 projets « accélérés »

  • En réalisation : 89, dont 46 maisons des aînés
  • En planification : 78
  • À l’étude : 12
  • Retirés : 2

Source : Reddition de comptes des projets d’infrastructures accélérés (31 mai 2022), Conseil du trésor

Des projets immobilisés

Des CHSLD à Montréal

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

CHSLD Grace Dart, à Montréal

Sept CHSLD de Montréal (David-Benjamin-Viger, Dorval, Grace Dart, Jeanne-Le Ber, LaSalle, Nicolet et Rousselot) sont toujours à l’étape de la « planification », aux dires du gouvernement. Réjean Leclerc, président de la Fédération de la santé et des services sociaux, affiliée à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), affirme « remettre très sérieusement en question la crédibilité du gouvernement », qui ne respecte pas ce qu’il a annoncé. « Je suis surpris et déçu pour la clientèle et les familles. Mais surtout, je suis aussi déçu pour le personnel, affirme-t-il. La clé, c’est la ventilation : on a besoin d’infrastructures adaptées. »

Troisième école à L’Île-des-Sœurs

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Île des Sœurs

À L’Île-des-Sœurs, on demande de construire une troisième école depuis 2017, afin de contrer un problème de surpopulation. L’an dernier, une mère de famille du quartier, Carolina Fernandez, avait lancé une pétition pour accélérer le processus. L’école des Marguerite, par exemple, prévoit une « occupation de 133 % dans la période 2022-2023 », selon le centre de services scolaires Marguerite-Bourgeoys. Cette proportion grimperait à 157 % pour 2024-2025, d’où la nécessité d’agrandir l’offre sur ce territoire.

Route 117

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Route 117

Reliant Montréal à l’Abitibi, la route 117 est reconnue comme « dangereuse » depuis des décennies. La loi 66 devait permettre d’ajouter une voie à cette route entre Labelle et Rivière-Rouge, deux municipalités des Laurentides. Vicki Emard, mairesse de Labelle, identifie cet endroit comme « le tronçon de route le plus meurtrier du Québec ». Elle pense toutefois que le projet actuel, qui ne prévoit pas de modifier la trajectoire de la route, représente une mauvaise solution. « Il n’y a personne qui est contre, précise-t-elle. Tout le monde veut quatre voies, mais il faut que ce soit au bon endroit, pour éviter les accidents. »

Le site du Grand-Séminaire à Montréal

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Stationnement derrière le Grand Séminaire de Montréal, où doit être érigée une école

Un projet d’école primaire publique est prévu dans le stationnement derrière le Grand-Séminaire, au centre-ville de Montréal. Dans ce secteur, les établissements privés prédominent. Depuis quelques années, des parents « doivent envoyer leurs enfants au privé ou encore dans des écoles publiques beaucoup plus loin », déplore Serge Sasseville, conseiller de ville du district Peter-McGill. « On veut faire revenir des familles dans le centre-ville, avance-t-il. Et pour ça, ça prend des parcs, des écoles et des centres de la petite enfance. »

L’hôpital de Saint-Eustache

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Hôpital de Saint-Eustache

En mars, l’hôpital de Saint-Eustache soulignait ses 60 ans. L’établissement de santé, qui sert environ 300 000 personnes dans les Basses-Laurentides, est en attente d’un agrandissement qui tarde à arriver, malgré l'adoption du projet de loi 66. « La quatrième région du Québec souffre d’un des pires accès aux soins de santé [dans la province] », dénonçait Marc L’Heureux, président de la Coalition Santé Laurentides et préfet de la MRC des Laurentides, dans une lettre ouverte publiée dans La Presse le 14 mai. Cosignée par une quinzaine de médecins et de politiciens municipaux, la lettre mentionne qu’il faut, pour l’hôpital de Saint-Eustache, « des investissements trois fois plus élevés que ce qui se retrouve actuellement dans les plans ».

William Thériault, La Presse