(Québec) Pour François Legault, le député libéral de Laval-des-Rapides, Saul Polo, qui parle espagnol à la maison, mais qui travaille et échange en français dans l’espace public, c’est « une anecdote ». Les partis d’opposition accusent désormais le premier ministre d’inventer une crise à des fins électorales lorsqu’il prétend que le Québec pourrait devenir la Louisiane s’il ne contrôle pas tous les pouvoirs en immigration.

Dans un rassemblement militant de la Coalition avenir Québec (CAQ), la fin de semaine dernière, M. Legault a affirmé qu’il souhaitait un « mandat fort » lors de l’élection du 3 octobre prochain afin d’avoir un rapport de force face au gouvernement fédéral pour rapatrier tous les pouvoirs en immigration. Ottawa a déjà dit qu’il refuserait sa demande.

« C’est une question de survie pour notre nation ! », a-t-il tonné, ajoutant que « ça peut devenir une question de temps avant qu’on devienne une Louisiane » si le fédéral admet dans les catégories qu’il contrôle, comme les regroupements familiaux, une forte proportion des nouveaux arrivants qui ne parlent pas le français à la maison.

Cette déclaration a depuis créé une onde de choc qui a retenti mardi lors des échanges au Salon bleu. « Il y a une tendance et si on ne fait rien, à long terme, est-ce que ça prendra 25, 50, 60 ans, il y a un risque effectivement que le Québec se retrouve dans la même situation que les autres provinces canadiennes et que la Louisiane », a réitéré M. Legault, qui a aussi profité de sa tribune pour rappeler que la CAQ enverra « un nouveau chèque » aux contribuables, si elle est élue, pour contrer les effets de l’inflation.

« C’est franchement n’importe quoi »

Pour la cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, les déclarations du premier ministre, « c’est franchement n’importe quoi ». À la période de questions mardi, elle lui a demandé si un député comme Saul Polo, un Québécois d’origine colombienne, était un frein au développement du Québec et à la protection du français.

« La cheffe de l’opposition officielle nous arrive avec une anecdote, un exemple d’une personne, mais elle refuse […] de constater qu’au cours des dernières années, il y a de moins en moins de Québécois qui ont le français comme langue commune, ou comme langue principale à la maison », a répondu M. Legault. Le premier ministre s’est dit inquiet que la proportion de Québécois qui parlent français à la maison soit depuis quelques années sous la barre des 80 %.

« Je refuse d’accepter l’étiquette que l’immigration est une menace à la nation du Québec. […] Ma famille et moi, nous ne sommes pas une anecdote. Je suis un produit de la loi 101. Un fier Québécois qui parle français. Mais à la maison, ça n’importe pas le premier ministre si je décide de parler en espagnol à mon garçon, ce n’est pas de ses affaires », a répliqué M. Polo.

« Ma famille et moi, nous ne sommes pas une menace à la survie du Québec. Je suis issue d’une immigration non francophone. Aujourd’hui, je vis en français même si ma langue maternelle est l’arabe et que je la parle encore avec mes parents. Ça n’a rien d’exceptionnel », a renchéri la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal, qui est née au Liban.

« Le premier ministre devrait être fier de ça aussi. Moi en tout cas, j’en suis fière. Je suis fière d’appartenir à un peuple qui a confiance en lui pour ouvrir les bras au lieu de pointer du doigt », a-t-elle ajouté.

Le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, qui vient de faire adopter une réforme de la loi 101, a plus tard affirmé que « la députée de Mercier (Ruba Ghazal), le député de Laurier-Dorion (Andrés Fontecilla), le député de Laval-des-Rapides (Saul Polo) et le député de Robert-Baldwin (Carlos J. Leitão) sont des modèles » et qu’on doit « souligner leur choix de choisir le français, de s’intégrer en français à la société québécoise ».

La CAQ se défend

Dans l’État de la Louisiane, dans le sud des États-Unis, les francophones représentent moins de 2 % de la population. Comparer cet État au Québec, comme l’a fait François Legault, est « impossible et fautif », a notamment réagi il y a quelques jours Joseph Dunn, entrepreneur en tourisme culturel et ancien directeur général du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL).

« Le français recule. Est-ce qu’on est au stade de la Louisiane ? Non. Mais le français recule, et c’est lié aux décisions actuelles de la CAQ », a affirmé mardi le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon.

À l’heure actuelle, le Québec sélectionne ses immigrants économiques grâce à l’entente Québec-Canada de 1991. François Legault a rappelé ces dernières semaines que la proportion d’immigrants qui parlaient le français lors de leur arrivée au Québec a augmenté depuis que son parti est au pouvoir.