(Québec) Les appels téléphoniques de détresse de la direction du CHSLD Herron, les 28 et 29 mars 2020, n’ébranlent pas François Legault, qui continue d’affirmer que les dirigeants de l’établissement n’ont pas collaboré avec les autorités gouvernementales. Les partis de l’opposition, eux, réclament un témoignage public du premier ministre et de son chef de cabinet, Martin Koskinen, pour établir la « chaîne de commandement » ayant mené à la tragédie.

« [Lynne] McVey [PDG du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal] dit qu’elle n’a pas eu de collaboration de la direction de Herron. On est là, mais toutes les informations sont données à la coroner, et la coroner va conclure », a dit M. Legault lors d’une mêlée de presse enregistrée par Cogeco Nouvelles, mercredi.

Un peu plus tôt dans la journée, il avait affirmé que c’était « au CIUSSS de faire le suivi » de la situation problématique au CHSLD Herron, et « qu’il y avait un problème de collaboration ».

De son côté, l’opposition réclame à cor et à cri le déclenchement d’une enquête publique sur la gestion de la pandémie par le gouvernement Legault. Les révélations de La Presse voulant que les gestionnaires du CHSLD Herron aient tenté en vain d’obtenir de l’aide les 29 et 30 mars 2020 démontrent toute l’importance de mener un exercice d’enquête indépendant, estiment les partis de l’opposition.

Ils soutiennent également que Lynne McVey doit fournir des explications au sujet de la gestion de la crise au CHSLD Herron. Celle-ci a déjà été entendue par la coroner Géhane Kamel, en septembre 2021. Elle a d’ailleurs été rappelée pour témoigner à nouveau parce que son témoignage initial a été partiellement contredit par d’autres témoins.

« J’aimerais entendre les membres de la cellule de crise sur les faits qui sont présentés devant nous », a martelé le chef parlementaire du Parti québécois, Joël Arseneau, se disant « troublé » par ces nouvelles révélations. Selon lui, le gouvernement « ne veut pas qu’on aille au fond des choses » dans cette histoire, et les ministres Danielle McCann et Marguerite Blais n’ont fourni que des « déclarations scriptées ».

« Remarquez les réponses du premier ministre. C’est la faute d’un peu tout le monde. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on va faire ? On va mettre à la porte la gestionnaire du CISSS qui n’a pas répondu aux appels de Herron ? Est-ce que c’est ça, le prochain geste pour dire que c’est la faute de quelqu’un d’autre ? », a pesté M. Arseneau, affirmant que le « gouvernement doit prendre ses responsabilités ».

Mardi, François Legault a rejeté la responsabilité sur le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, qui avait « pris en charge » la situation au CHSLD Herron, se basant sur un courriel du 30 mars 2020, révélé par Radio-Canada. Ce courriel fait état d’une « situation très préoccupante pour le CHSLD Herron [dans] l’ouest de Montréal » alors que des employés ont été en contact avec un usager positif à la COVID-19.

Dans la correspondance de la sous-ministre Natalie Rosebush adressée à la cheffe de cabinet de la ministre Marguerite Blais, on indique que « le CIUSSS a pris le relais pour donner le service ». Tant ce courriel que les appels à l’aide du CHSLD révélés mercredi ont été déposés en preuve dans le cadre de l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur les décès de personnes âgées ou vulnérables en CHSLD.

Encore mercredi, la ministre Blais a répété qu’au printemps 2020, « on [recevait] des tonnes d’états de situation, de courriels. On n’a pas manqué de courage. On a tout mis en œuvre pour faire en sorte de sauver des vies ».

Une attitude « lâche », dit QS

Gabriel Nadeau-Dubois a accusé le premier ministre d’avoir une attitude « lâche » alors qu’il « s’attribue les mérites de ce qui s’est bien passé » et « se lave les mains » des ratés. « Quand il y a des scandales, des tragédies, qu’est-ce qu’il fait ? Il trouve des boucs émissaires, il jette des gens en dessous de l’autobus en disant : je ne le savais pas, ce n’est pas de ma faute. Ça, c’est un manque de courage », a-t-il lancé.

Le chef parlementaire de Québec solidaire (QS) affirme que les révélations de mercredi matin sont « épouvantables » et « gênantes » pour le Québec. « J’ai écouté ce matin les appels à l’aide révélés dans La Presse. Je n’en reviens pas d’entendre des choses comme ça dans une société aussi riche que le Québec », a déploré M. Nadeau-Dubois.

Cette déclaration a piqué au vif François Legault : « M. Nadeau-Dubois est désespéré, il manque d’attention », a lâché le premier ministre en se rendant au Salon bleu, mercredi.

Le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, en a rajouté une couche : « Je crois que les députés se doivent respect, et c’est inacceptable, ce genre de propos là. S’il y a un homme qui s’est tenu droit devant les Québécois, qui a répondu à toutes les questions pendant deux ans en conférence de presse, qui a fait preuve de courage, c’est bien le premier ministre », a-t-il déclaré.

Des messages contradictoires, selon le PLQ

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Dominique Anglade

La cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ), Dominique Anglade, réclame elle aussi que M. Legault, son chef de cabinet et les membres de la cellule de crise soient entendus dans le cadre d’une enquête publique. « Il y a toute une ligne de chaîne de commandement, mais ultimement, la responsabilité ministérielle… Je veux entendre les ministres nous dire ce qui s’est passé. Jusqu’à présent, on ne sait pas ce qui s’est passé », a-t-elle lancé.

« Ce n’est vraiment pas clair, cette chaîne de commandement là. Qui savait ? Les messages contradictoires qui nous ont été présentés, ce n’est absolument pas clair. La cellule de crise… Comment les décisions se sont prises ? Qui savait ? Pourquoi les décisions ? […] Comment se fait-il qu’il y ait quelqu’un au Québec qui appelle au 811 [pour avoir de l’aide] ? », a-t-elle ajouté.

« Il faut comprendre ce qui a mené à cette situation-là. Il va y avoir certaines des réponses dans le rapport du coroner, mais on ne les aura pas toutes, et c’est pour ça qu’on va faire l’ensemble de la lumière sur cet enjeu-là », a indiqué Dominique Anglade mercredi.

De son côté, la péquiste Véronique Hivon a sorti la bible des députés, La procédure parlementaire du Québec, pour rappeler que la responsabilité ministérielle fait qu’« un ministre doit répondre non seulement de ses propres actions, mais aussi de celles de ses fonctionnaires ». La ministre Blais, même si elle a à cœur la qualité de vie des aînés, est responsable de la situation, a-t-elle lancé.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse