(Québec) Marwah Rizqy ne mâche pas ses mots : « le climat ne va pas bien » à l’école Saint-Laurent, à Montréal, où trois entraîneurs de basketball ont été accusés il y a deux mois de crimes sexuels. Des témoins qui ont des informations à partager appellent la députée, car ils ignorent qui est responsable du dossier. « Ça commande une vraie enquête », dit-elle au ministre de l’Éducation, qui se dit « surpris et déçu » que les informations ne soient pas mieux communiquées sur le terrain.

La Presse révélait mercredi que des enseignants de l’école Saint-Laurent se disent « découragés » face à la progression de l’enquête. Vendredi dernier, lors d’une rencontre entre des représentants du centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB) et le personnel scolaire, le directeur de l’école, René Bernier, aurait affirmé qu’il ne savait pas comment parler à la personne responsable du dossier. Philippe Côté, l’enquêteur responsable du dossier au ministère de l’Éducation, aurait depuis pris contact avec le syndicat afin qu’un appel à tous les enseignants soit fait.

Dans une mêlée de presse chargée d’émotions mercredi, le trémolo dans la voix, Mme Rizqy a sévèrement critiqué la façon dont Québec s’est chargé de l’enquête depuis le début de cette affaire. Elle exige une enquête indépendante.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Marwah Rizqy

« Ça ne peut pas être un fonctionnaire de Québec, dans son coin, qui attend que le téléphone sonne. Ça fait des semaines que j’ai des parents, j’ai des élèves, j’ai des enseignants, du personnel scolaire qui m’appellent en sortant de l’école pour me dire que ça ne va pas bien à l’école Saint-Laurent. Le climat ne va pas bien. Quelqu’un m’a écrit que le bordel est pris. Ils veulent savoir qui est l’enquêteur au dossier », dit-elle.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-François Roberge

À la période de questions, mercredi, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, s’est dit « surpris et déçu » en lisant La Presse et en apprenant que « l’information n’a pas été bien transmise ».

« Je vais m’assurer que l’information se rende à tous les membres du personnel et à toutes les familles. […] Il n’est pas question de laisser passer ça, il n’est pas question de faillir à la tâche », a-t-il dit.

« Le rapport sera remis en juin. On aura toute la lumière et on va s’assurer de diffuser toute l’information », a ajouté le ministre.

Comment joindre l’enquêteur

Le ministère de l’Éducation a affirmé mercredi à La Presse qu’il existe deux façons de participer à l’enquête. Il est d’abord possible de « solliciter un entretien » avec l’enquêteur Philippe Côté, en écrivant directement à signalements@education.gouv.qc.ca, ou encore en remplissant un formulaire de manière anonyme.

« Honnêtement, c’est tellement laconique, c’est une réponse de technocrate. Les allégations [sont à l’effet qu’ils se seraient] passé la victime. […] Ce sont des allégations tellement graves et troublantes. Qu’est-ce qui s’est passé en deux mois depuis les arrestations ? », dénonce Marwah Rizqy.

La députée de Saint-Laurent exige que l’enquête soit transférée à une firme spécialisée dans les cas d’agressions sexuelles et de harcèlement au travail. « Je n’ai rien contre M. Côté, mais je doute que le ministère de l’Éducation ait l’indépendance nécessaire pour s’auto-enquêter, ou que le ministère ait déjà géré une situation aussi dramatique », affirme-t-elle.

« Quand il y a un feu qui se passe, quelque part, les assurances font quoi ? Ils envoient l’enquêteur, un expert en sinistre qui est dépêché sur les lieux, qui dit voici ma carte d’affaires, voici ce qu’on va faire, vous pouvez me parler, je cherche des témoins. Il n’est pas assis dans son bureau à Québec à plus de 280 kilomètres de Saint-Laurent », ajoute la députée.

Mme Rizqy a également affirmé que « des entraîneurs d’autres écoles veulent parler » et qu’il « y en a qui ont vu des comportements inacceptables ».

« Je vais vous dire pourquoi ça me trouble. Moi-même, j’ai joué au basketball et le profil des victimes, savez-vous c’est quoi ? Des jeunes filles de milieux défavorisés ethniques. […] Les prédateurs, ne vous trompez pas, choisissent leurs victimes. Ça n’a pas duré un an, ça n’a pas duré deux ans, on parle d’années ! On parle d’un climat toxique, un climat où les gens n’osent même plus parler », ajoute-t-elle.

La députée de Québec solidaire Christine Labrie affirme pour sa part que « la lenteur avec laquelle avance cette enquête n’a rien de rassurant ».

« Ce dont on a besoin, c’est que chaque établissement ait une réelle politique pour prévenir et contrer les violences sexuelles, et que la voie soit claire pour la dénonciation. C’est ce que réclament les jeunes depuis des années et j’ai déjà déposé un projet de loi pour y arriver. C’est notre responsabilité d’écouter les jeunes si on veut mieux les protéger », dit-elle.

« Le processus d’enquête opaque envoie un message clairement négatif aux jeunes victimes, qui ont eu le courage de dénoncer, et aux enseignants. Pour les victimes, pour les parents, les élèves et les enseignants, nous demandons la plus grande transparence et indépendance possible dans ce processus d’enquête. Ce serait le minimum du minimum quand on voit à quel point la vie de ces jeunes a été marquée et leur confiance, complètement effritée », complète Véronique Hivon du Parti québécois.

Avec Henri Ouellette-Vézina et Alice Girard-Bossé

L’affaire de l’école Saint-Laurent en quelques dates

  • 2 février 2022 : Trois entraîneurs de basketball de l’école secondaire Saint-Laurent, à Montréal, soupçonnés de crimes de nature sexuelle envers deux mineures, sont arrêtés.
  • 3 février : Les trois coachs sont accusés de divers crimes sexuels. Daniel Lacasse, responsable du programme de basketball de Saint-Laurent, est accusé d’exploitation sexuelle. Les deux autres entraîneurs, Robert Luu et Charles-Xavier Boislard, font face à des accusations de contact sexuel, d’incitation à des contacts sexuels et d’agression sexuelle. M. Boislard est aussi accusé d’exploitation sexuelle.
  • 4 février : La Presse rapporte un climat « hyper nocif », marqué par les agressions verbales et l’intimidation, qui régnait au sein du programme de basketball féminin.
  • 7 février : Une coalition d’organismes réclame l’adoption « rapide et urgente » d’un projet de loi pour « prévenir et combattre » les violences sexuelles en milieu scolaire. Le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB) annonce le même jour l’ouverture d’une enquête, qu’il abandonnera finalement quelques semaines plus tard.
  • 8 février : Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, déclenche une enquête gouvernementale sur le cas de l’école Saint-Laurent. Peu après, la ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest, annonce l’ouverture d’une enquête sur la « manière » dont Basketball Québec a géré la situation.
  • 9 février : Le ministère de l’Éducation assure que ce jour-là, une lettre du Directeur des enquêtes a été transmise au directeur général du CSSMB, Dominic Bertrand, pour « annoncer la tenue de l’enquête ».
  • 23 février : La députée libérale de Saint-Laurent, Marwah Rizqy, demande à Québec de « suspendre avec solde », le temps que le gouvernement mène son enquête, « les membres actuels et les anciens membres de la direction impliqués dans les allégations d’abus sexuels et psychologiques » à l’école secondaire Saint-Laurent.
  • 2 mars : La Presse rapporte qu’un regroupement d’anciennes joueuses de basketball a mis sur pied la Coalition des grandes sœurs du sport. Sa mission : mettre fin à la « culture du silence » qui règne dans le sport, dans la foulée de l’affaire Saint-Laurent.
  • 24 mars : Une dizaine de femmes se réunissent au palais de justice de Montréal, en marge d’une audience en prévision du procès des accusés, pour soutenir les victimes de violence sexuelle.