Deux mois après que trois entraîneurs de basketball de l’école secondaire Saint-Laurent ont été accusés de crimes sexuels, des enseignants et le syndicat déplorent que la direction ne leur ait donné aucune information sur l’enquête gouvernementale en cours. L’enquêteur vient toutefois d’entamer des démarches en ce sens, selon le syndicat.

« On est découragés. Des enfants [auraient] été agressés sexuellement dans notre école par des adultes et nous, on ne nous questionne pas. C’est une exclusion totale de notre propos, et c’est inacceptable », affirme l’un des enseignants avec qui La Presse s’est entretenue et qui a requis l’anonymat par crainte de représailles.

Selon nos informations, plusieurs enseignants ont cherché à savoir comment parler à l’enquêteur affecté au dossier lors d’une assemblée générale qui s’est tenue vendredi dernier avec des représentants du centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB). Le directeur de l’école Saint-Laurent, René Bernier, aurait alors affirmé qu’il n’en savait rien.

Des professeurs ont finalement mis la main sur l’identité de l’enquêteur en question. Il s’agit de Philippe Côté, qui travaille à la Direction des enquêtes au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. « En prenant contact avec lui, on a réalisé que l’enquêteur n’avait pas le droit de communiquer avec nous, et que c’était plutôt à nous de communiquer avec lui. Mais on n’a jamais été informés de ça », déplore cet enseignant.

« Tout ça fait partie de l’omerta de notre commission scolaire, de notre école. On est toujours gardés dans le noir », dénonce-t-il.

Aucune surprise pour le syndicat

« Je ne suis pas surprise de ce que les enseignants disent, parce que nous-mêmes, comme syndicat, on a eu énormément de difficultés à avoir de l’information de la part du centre de services », a déclaré Mélanie Hubert, présidente du Syndicat de l’enseignement de l’ouest de Montréal, en entrevue avec La Presse.

Dans les jours qui ont suivi les arrestations, elle avait demandé au centre de services scolaire des détails sur l’enquête et son déroulement. « À ce jour, on n’a pas eu de suivi de la part de l’employeur », a-t-elle lancé.

Vendredi dernier, l’enquêteur serait lui-même entré en contact avec le syndicat, afin de demander qu’un appel à tous les enseignants soit fait. « J’ai reçu les dernières informations aujourd’hui et j’étais justement en train de regarder comment on allait transmettre l’information autant aux enseignants qu’aux anciens enseignants de l’école Saint-Laurent », a dit Mme Hubert.

Elle a ajouté que les employés étaient « fâchés » et « se sentaient laissés à eux-mêmes » lors de la rencontre avec la direction qui s’est tenue vendredi.

[Les employés de l’école] ont hâte de savoir comment contribuer à l’enquête et se sentir en confiance avec le processus en cours.

Mélanie Hubert, présidente du Syndicat de l’enseignement de l’ouest de Montréal

La députée libérale de la circonscription de Saint-Laurent, Marwah Rizqy, craint pour sa part qu’une méfiance s’installe à l’école envers l’enquête et qu’elle mène à une « perte de confiance ». Selon elle, « l’heure est grave », et le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, doit informer les enseignants de la procédure à suivre s’ils ont des informations à transmettre.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Marwah Rizqy, députée libérale de la circonscription de Saint-Laurent

Mme Rizqy demande également à l’enquêteur du ministère de « se déplacer à l’école Saint-Laurent pour se présenter, remettre sa carte d’affaires à l’ensemble du personnel, des parents et des élèves, et rétablir un climat de confiance ».

« Ça nous prend une date butoir pour rendre compte de la situation complète à l’école Saint-Laurent et mettre fin à l’omerta », exige la députée, qui souhaite que les membres de la direction de l’école qui étaient en poste au moment où les faits allégués avec les entraîneurs sont survenus soient suspendus avec solde le temps de l’enquête.

« Il faut rétablir un climat de confiance pour permettre aux gens de délier leur langue. J’ai besoin que le ministre de l’Éducation comprenne l’ampleur de la situation », affirme Mme Rizqy, qui a elle-même joué au basketball pendant son parcours scolaire.

« Rien n’est nommé »

Des enseignants de l’école Saint-Laurent souhaitent pour leur part « un ménage » au sein de l’établissement. « Comment les profs peuvent avoir le goût de venir se confier à la direction, quand elle-même a protégé Daniel Lacasse [le responsable du programme de basketball féminin] par le passé, et qu’elle continue à faire perdurer le silence », dit l’un de ceux rencontrés par La Presse.

Si des filles, qui [auraient] été complètement détruites et abusées, ont trouvé le courage de parler, je trouve que nous, les adultes, on devrait le faire aussi.

Un enseignant de l’école Saint-Laurent ayant requis l’anonymat

« On veut que tout ça, cette omerta, cette situation inacceptable, ça éclate, pour que les jeunes qui s’en viennent puissent étudier dans une atmosphère respectueuse. Il faut que le problème se dise pour qu’on puisse le réparer. Mais actuellement, personne ne dit rien : rien n’est nommé. Et des enfants [auraient] été abusés. On ne veut plus faire partie de ça », ajoute un autre enseignant.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Bloc sportif de l’école secondaire Saint-Laurent

En fin d’entretien, un autre affirme carrément : « Il n’y a plus grand monde qui croit à cette enquête-là. Il y a beaucoup de profs qui sont désabusés. Juste le fait qu’il y ait un enquêteur et que notre directeur nous dise qu’il n’est pas au courant, pour nous, ça dit tout. »

Peu de réponses des autorités

Interpellé par La Presse, le CSSMB s’est contenté d’une réponse laconique, mardi. « L’enquête en cours est entièrement menée par le ministère de l’Éducation, qui détermine l’échéancier et les moyens à déployer dans le cadre du processus de cueillette d’informations et celui-ci peut entrer en contact avec toutes les personnes qu’il jugera opportun », a affirmé la porte-parole Annie Bourassa.

L’enquêteur Philippe Côté a quant à lui affirmé qu’il n’était pas non plus « disposé à commenter le processus » à ce stade-ci. « Vous comprenez que je suis tenu au devoir de discrétion à ce sujet », a-t-il écrit à La Presse.

Par courriel, le ministère de l’Éducation est demeuré tout aussi prudent. Sa porte-parole, Esther Chouinard, a indiqué que le gouvernement « ne commente pas le déroulement des enquêtes en cours ».

Québec a toutefois rappelé qu’il existe deux façons de participer à l’enquête. Il est d’abord possible de « solliciter un entretien » avec l’enquêteur Philippe Côté, en écrivant directement à signalements@education.gouv.qc.ca, ou encore en remplissant un formulaire de manière anonyme au https://denonciation.education.gouv.qc.ca/.

L’affaire de l’école Saint-Laurent en quelques dates

  • 2 février 2022 : Trois entraîneurs de basketball de l’école secondaire Saint-Laurent, à Montréal, soupçonnés de crimes de nature sexuelle envers deux mineures, sont arrêtés.
  • 3 février : Les trois coachs sont accusés de divers crimes sexuels. Daniel Lacasse, responsable du programme de basketball de Saint-Laurent, est accusé d’exploitation sexuelle. Les deux autres entraîneurs, Robert Luu et Charles-Xavier Boislard, font face à des accusations de contact sexuel, d’incitation à des contacts sexuels et d’agression sexuelle. M. Boislard est aussi accusé d’exploitation sexuelle.
  • 4 février : La Presse rapporte un climat « hyper nocif », marqué par les agressions verbales et l’intimidation, qui régnait au sein du programme de basketball féminin.
  • 7 février : Une coalition d’organismes réclame l’adoption « rapide et urgente » d’un projet de loi pour « prévenir et combattre » les violences sexuelles en milieu scolaire. Le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB) annonce le même jour l’ouverture d’une enquête, qu’il abandonnera finalement quelques semaines plus tard.
  • 8 février : Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, déclenche une enquête gouvernementale sur le cas de l’école Saint-Laurent. Peu après, la ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest, annonce l’ouverture d’une enquête sur la « manière » dont Basketball Québec a géré la situation.
  • 9 février : Le ministère de l’Éducation assure que ce jour-là, une lettre du Directeur des enquêtes a été transmise au directeur général du CSSMB, Dominic Bertrand, pour « annoncer la tenue de l’enquête ».
  • 23 février : La députée libérale de Saint-Laurent, Marwah Rizqy, demande à Québec de « suspendre avec solde », le temps que le gouvernement mène son enquête, « les membres actuels et les anciens membres de la direction impliqués dans les allégations d’abus sexuels et psychologiques » à l’école secondaire Saint-Laurent.
  • 2 mars : La Presse rapporte qu’un regroupement d’anciennes joueuses de basketball a mis sur pied la Coalition des grandes sœurs du sport. Sa mission : mettre fin à la « culture du silence » qui règne dans le sport, dans la foulée de l’affaire Saint-Laurent.
  • 24 mars : Une dizaine de femmes se réunissent au palais de justice de Montréal, en marge d’une audience en prévision du procès des accusés, pour soutenir les victimes de violence sexuelle.
En savoir plus
  • Entre 2 et 8 %
    Proportion des athlètes qui subissent au moins une violence sexuelle en contexte sportif. Les deux tiers des victimes ont moins de 18 ans.
    SOURCE : Institut national de santé publique du Québec