(Ottawa) Le Canada doit imiter les États-Unis et réclamer l’expulsion de la Russie du G20, pressent les conservateurs et les bloquistes à Ottawa. Sans aller jusqu’à dire que le Canada emboîtera le pas aux États-Unis, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, jure qu’elle n’a aucune intention de s’asseoir à la même table que son homologue russe, Sergueï Lavrov.

Le président des États-Unis, Joe Biden, a annoncé jeudi, à Bruxelles, à l’issue du sommet de l’OTAN, que Moscou n’avait plus sa place au sein de l’organisation. « Ma réponse est oui », a-t-il répliqué sans aucune hésitation à une journaliste qui venait de lui demander s’il souhaitait l’éjection de la Russie.

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Le président Joe Biden

« L’enjeu a été soulevé aujourd’hui, et j’ai évoqué la possibilité que si cela ne pouvait se concrétiser, si l’Indonésie [le pays hôte du prochain sommet] et les autres ne parvenaient pas à s’entendre, nous devrions demander que l’Ukraine participe à la rencontre à titre d’observateur », a affirmé le dirigeant américain.

Le gouvernement Trudeau doit épouser cette position, juge le porte-parole du Parti conservateur en matière d’affaires étrangères, Michael Chong. « Le Canada doit demander l’expulsion de la Russie. Nous sommes heureux que nos alliés l’aient demandé. Maintenant, c’est au gouvernement du Canada de le faire », a-t-il argué.

Son collègue du Bloc québécois Stéphane Bergeron partage cet avis. « Je suis tout à fait d’accord. L’objectif est d’isoler le plus possible la Russie de toutes les organisations internationales », a-t-il affirmé en entrevue après la réunion d’un comité parlementaire où comparaissait la ministre Joly.

Joly ne veut pas voir son homologue russe

Interceptée à sa sortie de la salle du parlement, la cheffe de la diplomatie canadienne a fait valoir qu’Ottawa comptait « certainement travailler avec le G7 sur cette question ».

Mais sa décision à elle est déjà prise.

« Ce n’est pas vrai que je vais me retrouver dans la même salle que Sergueï Lavrov au G20 », a-t-elle lancé. La ministre Joly a rappelé que, il y a trois semaines, la majorité des diplomates du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sont sortis quand le Russe a pris la parole et que sa position était donc à l’image de ce boycottage.

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Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

La Russie a été expulsée de ce qui était le G8 en 2014, une sanction qui lui a été infligée dans la foulée de l’annexion illégale de la Crimée. Le sommet qui devait se tenir à Sotchi avait fait l’objet d’un boycottage, et il avait été remplacé par un sommet du G7.

Le hic, en ce qui concerne le G20, c’est qu’il réunit des pays comme la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud.

Aux Nations unies, jeudi, les trois nations se sont abstenues au moment de se prononcer sur une résolution (finalement adoptée à majorité) sommant le Kremlin de cesser les hostilités en Ukraine « immédiatement », « complètement » et « sans condition ».

« Déclaration politique »

Les possibilités que la Russie se fasse montrer la porte du G20 sont « très, très, minimes », tient à indiquer Hélène Emorine, chercheuse principale des groupes de recherche sur le G7 et le G20 de l’Université de Toronto.

Le G20 marche par unanimité. Tous les pays doivent être d’accord avant de faire une action importante comme celle-ci.

Hélène Emorine, chercheuse principale des groupes de recherche sur le G7 et le G20 de l’Université de Toronto

« La déclaration de Joe Biden est très politique et est difficile à mettre en œuvre de manière pratique. Je vois mal des pays comme la Chine ou l’Arabie saoudite être d’accord », expose-t-elle.

Malgré cela, la chercheuse ne serait pas étonnée de voir Justin Trudeau y aller lui aussi d’une telle prise de position, car depuis le tout premier jour de l’invasion russe, il « emboîte le pas à Joe Biden presque à chaque étape ».

L’enjeu de l’éjection de la Russie n’a pas été soulevé pendant la conférence de presse de clôture du premier ministre au quartier général de l’OTAN, jeudi. Au bureau du premier ministre, on n’a pas souhaité fournir de commentaires.

Au Nouveau Parti démocratique, on n’en est pas encore à réclamer cette mesure. « Bien que ce soit une option que nous devrions envisager, il y a aussi beaucoup d’autres voies que nous devons emprunter pour être solidaires de l’Ukraine et condamner la Russie », a indiqué dans une déclaration écrite la députée Heather McPherson.

Plus de sanctions et plus de pétrole

À Bruxelles, tant le premier ministre du Canada que le président des États-Unis ont annoncé qu’ils frappaient le régime Poutine de nouvelles sanctions. Se retrouvent cette fois dans le viseur d’Ottawa 160 membres du Conseil de la Fédération – la Chambre haute – ayant « facilité et permis » l’invasion, a dit Justin Trudeau.

Cela porte le nombre total d’individus sanctionnés par Ottawa à 964.

Par ailleurs, afin de juguler les conséquences de la guerre en Ukraine, le gouvernement canadien accroîtra sa production de pétrole et de gaz d’environ 300 000 barils par jour – 200 000 barils de pétrole et 100 000 de gaz – en 2022.

« Nos amis et alliés en Europe ont besoin que le Canada et d’autres pays montent au créneau. Ils nous disent qu’ils ont besoin de notre aide pour s’affranchir du pétrole et du gaz de la Russie », a déclaré le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, disant que cela « n’augmentera pas les émissions mondiales ».