(Ottawa) « Nous sommes engagés dans une véritable bataille pour notre indépendance et nous en payons un prix bien réel. Aujourd’hui, l’Ukraine paie très cher le fait d’avoir défendu ses convictions, c’est-à-dire la démocratie et la liberté de choisir son avenir », a déclaré devant le Parlement du Canada le président de l’Ukraine.

Ces paroles ne sont pas celles de l’actuel dirigeant de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, qui s’adressera aux parlementaires ce mardi. Elles appartiennent plutôt à son prédécesseur, Petro Porochenko, qui avait été invité aux Communes en septembre 2014, soit quelques mois après l’annexion illégale de la Crimée et le début de la guerre dans le Donbass.

Saluant les « milliers d’hommes et de femmes ukrainiens [qui] font courageusement le sacrifice de leur vie pour défendre leur droit de vivre comme ils l’entendent dans leur patrie, sous l’étendard ukrainien », le président avait assuré que « l’Ukraine a franchi le Rubicon et ne retournera jamais plus en arrière [dans le giron soviétique] ».

Près de huit ans plus tard, les forces ukrainiennes continuent de résister à l’envahisseur. Et au jour 20 du déclenchement de la guerre, alors que les bombardements se poursuivent sur le terrain, leur commandant en chef, Volodymyr Zelensky, poursuit sa tournée diplomatique, de façon virtuelle.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRÉSIDENCE UKRAINIENNE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine

Après s’être exprimé au Parlement britannique – où il a été chaleureusement ovationné –, le président de l’Ukraine remettra ça au Parlement canadien. « Les Canadiens ont été inspirés par le courage et la résilience des Ukrainiens ainsi que par le leadership du président, et je sais qu’ils ont hâte de l’entendre », a écrit Justin Trudeau sur Twitter mercredi passé.

Les deux hommes ont échangé à plusieurs reprises depuis le début de la guerre et ils entretiennent des liens étroits.

Une proximité qui caractérise la relation entre l’Ukraine et le Canada, où se trouve la deuxième diaspora ukrainienne en importance après celle de la Russie, avec 1,3 million de personnes.

C’est d’ailleurs la troisième fois qu’un président ukrainien reçoit un carton d’invitation pour prononcer une allocution lors de séances conjointes du Parlement. Avant celui qui est désormais l’ennemi numéro un du Kremlin, il y a eu Petro Porochenko, en 2014, et Viktor Iouchtchenko, en 2008.

Un Russe ?

Oui : Boris Elstine, en 1992.

« Plus que quiconque, nous connaissons le cauchemar du totalitarisme. C’est pourquoi nous avons choisi la démocratie. […] Mieux que quiconque, nous savons ce que c’est d’être l’ennemi de tous. Nous avons donc choisi la transparence, la coopération avec la communauté mondiale », avait affirmé le premier président désigné de la Russie.

À quoi s’attendre de Zelensky ?

La Russie de Poutine, le président Zelensky a exhorté au Parlement du Royaume-Uni de la frapper de sanctions additionnelles, de la désigner « État terroriste » et de faire en sorte que « le ciel de l’Ukraine soit sécuritaire », selon la transcription du plaidoyer qu’il a livré devant une salle pleine à craquer d’élus et de membres de la Chambre des Lords.

PHOTO JESSICA TAYLOR, FOURNIE PAR LE PARLEMENT BRITANNIQUE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les parlementaires britanniques écoutent le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky (à l’écran), le 8 mars dernier.

La requête de Kyiv d’imposer une zone d’exclusion aérienne a été balayée du revers de la main par les pays de l’OTAN, y compris par le Canada. Le premier ministre Trudeau a dit avoir opposé une fin de non-recevoir à cette demande que lui a spécifiquement faite son homologue ukrainien, a rapporté CTV jeudi dernier.

« C’est déchirant, a-t-il lâché en entrevue sur les ondes du réseau anglophone. Nous ne pouvons pas faire cela. » Car le « risque d’escalade » est trop élevé « si nous envoyons des avions de l’OTAN dans le ciel de l’Ukraine pour abattre des avions russes », a argué le dirigeant canadien.

Cela n’empêchera probablement pas Volodymyr Zelensky de revenir à la charge mardi, croit le politologue Justin Massie.

« C’est ce à quoi je m’attends, absolument. Essentiellement, il prend ce moment-là pour aller chercher du soutien pas juste auprès du gouvernement, mais aussi auprès des partis de l’opposition », indique-t-il en entrevue.

La stratégie de Zelensky, c’est évidemment de demander le maximum et d’espérer d’avoir un peu plus.

Justin Massie, professeur titulaire de science politique à l’UQAM

Aucune des formations à Ottawa n’est en faveur de l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne, mais elles ont toutefois des demandes – plus d’armes, plus d’argent ou encore davantage d’action en matière d’accueil de réfugiés –, relève M. Massie, professeur titulaire de science politique à l’UQAM et codirecteur du Réseau d’analyse stratégique.

« Si j’étais le gouvernement Trudeau, j’aurais donc déjà quelques annonces de prêtes dans ma manche pour pouvoir avoir une réponse positive à ses demandes », souligne Justin Massie.

Le premier ministre sera le premier à s’exprimer, en ouverture de séance. Suivront le président Zelensky, les présidents du Sénat et de la Chambre, et ensuite les chefs de tous les partis de l’opposition.

Pour le dirigeant de l’Ukraine, la prochaine escale – virtuelle – après celle d’Ottawa est Washington. Il a été invité à parler aux membres du Congrès américain par la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le leader de la majorité au Sénat, Chuck Schumer.