Le nombre de signalements de menaces aux élus explose

(Québec) Le nombre de signalements à la police pour menaces envers des élus de l’Assemblée nationale a explosé depuis le début de la pandémie, indiquent des chiffres obtenus auprès de la Sûreté du Québec (SQ). Le corps de police tient d’ailleurs à rappeler à la population que « le clavier n’est pas signe d’immunité ».

La SQ avait répertorié seulement 16 signalements de propos menaçants ou de menaces envers des élus provinciaux québécois en 2019.

L’année suivante, le Québec a été frappé par l’arrivée de la COVID-19 et les mesures sanitaires. Les signalements pour menaces aux élus provinciaux ont alors explosé. La SQ en a relevé 286 en 2020, puis 396 en 2021.

« On prend toujours ces gestes-là au sérieux. Une tentative d’intimidation ou un acte de violence, c’est toujours un acte de trop », prévient la porte-parole de la SQ, Ann Mathieu.

Les gens se sont retrouvés dans des situations difficiles avec les confinements. Il y a des gens qui se sont retrouvés peut-être davantage derrière un clavier. Et souvent, les gens ressentent une certaine immunité derrière un clavier.

Ann Mathieu, porte-parole de la SQ

Les signalements peuvent être faits par la personne visée par les propos ou par des quidams qui en sont témoins. Les menaces envers des élus ne mènent pas toutes à des accusations criminelles, précise la SQ. Mais les médias ont fait état récemment de plusieurs affaires où les auteurs des menaces ont été traduits en justice.

On a tendance à croire que ces menaces proviennent de messages irréfléchis sur les réseaux sociaux, mais plusieurs menaces ont été proférées au téléphone.

Une chose est sûre : les signalements ont connu une hausse marquée en même temps que la pandémie.

« Je suis sur Twitter depuis 2013 et je n’avais jamais vécu ça. C’est vraiment depuis 2020 » que les propos agressifs ont explosé, note en entrevue la ministre du Tourisme, Caroline Proulx.

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Caroline Proulx, ministre du Tourisme

Cette membre du gouvernement n’est pas la plus visible depuis le début de la pandémie. Elle a pourtant reçu son lot de menaces. Elle a porté plainte deux fois à la police. Dans un message, raconte-t-elle, un internaute lui a écrit : « on va te tirer grosse conne ».

Il y a quelques semaines, elle a participé à un reportage de TVA sur le convoi contre les mesures sanitaires qui se préparait pour Québec. « J’invitais les gens à venir profiter du Carnaval malgré la manifestation », dit-elle. Elle raconte avoir été inondée de messages hargneux sur Twitter.

Exacerbé par la pandémie

La députée de Sherbrooke, Christine Labrie, est bien au fait de ces menaces. Elle a elle-même porté plainte à la police avant la pandémie, plaintes qui ont mené à deux condamnations.

Dans un discours à l’Assemblée nationale en novembre 2019, elle avait dénoncé les propos injurieux reçus par elle et d’autres femmes députées (« Heille la nunuche, allez vous rhabiller ou suicidez-vous » ou encore « tu es une calice de prostituée »).

Elle n’est pas surprise par la progression des signalements à la police.

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Christine Labrie, députée de Sherbrooke

J’ai remarqué une augmentation des menaces en lien avec la pandémie. J’ai aussi remarqué que les élus sont plus prompts à dénoncer ces propos-là publiquement ou à la police qu’avant. Je trouve ça très positif qu’on ait levé le tabou sur cet enjeu-là.

Christine Labrie, députée de Sherbrooke

Selon elle, la pandémie et les mesures sanitaires ont entraîné « une fracture sociale importante » qui a pu nourrir la rancœur de certains individus.

Elle dit se réjouir de voir le gouvernement adopter « un changement d’approche qui devrait réparer tranquillement cette fracture sociale ».

« On a manqué d’une approche qui favorisait le dialogue pendant plusieurs mois. On y est revenus. Je suis très contente de ça, j’espère que ça va contribuer à diminuer les tensions », dit-elle, ajoutant que « peu importe les décisions qui ont été prises par ce gouvernement, personne ne mérite des menaces ou des propos injurieux ».

Parfois un casier judiciaire

L’entourage du premier ministre a lui-même fait des signalements à la police pour des messages de menaces reçus au bureau de circonscription de François Legault.

Dans la nuit du 3 mars 2021, Philippe Charbonneau a notamment dit au premier ministre, sur sa boîte vocale : « ça serait l’fun de vous enligner toute la gang et vous pendre », selon la preuve déposée au tribunal.

L’homme a plaidé coupable, consulté une psychologue et a dit regretter ses paroles. Dans sa décision le 3 février dernier, un juge de la Cour du Québec lui a accordé une absolution conditionnelle, ce qui permet à ce jeune professionnel d’éviter un casier judiciaire.

Dans un autre épisode, Philippe Côté a aussi laissé des messages menaçants au bureau de François Legault, en mai 2020, au début de la pandémie. Le camionneur s’en prend à M. Legault et à Horacio Arruda. Il affirme alors qu’il pense se procurer une arme et leur tirer « une balle entre les deux oreilles ».

M. Côté a reçu une probation de deux ans avec une peine suspendue et a hérité d’un casier judiciaire.

Le tribunal estime que proférer des menaces de mort par écrit ou en laissant des menaces dans une boîte téléphonique est aussi sérieux que si cela avait été fait directement à la personne.

Extrait de la décision du juge

La Sûreté du Québec veut rappeler que les menaces en ligne ont des conséquences sérieuses. « Le clavier n’est pas signe d’immunité. Du moment qu’on intimide, qu’on menace, les gens peuvent faire face à des accusations criminelles qui peuvent avoir des impacts sur le reste de la vie », prévient la porte-parole Ann Mathieu.

Le député libéral de Vimont, lui-même un ancien policier, n’est pas surpris par la hausse des signalements de menaces envers les élus.

« Les gens malheureusement qui font des menaces derrière leurs écrans souvent pensent qu’il n’y a aucune conséquence. Ils se donnent une plateforme, ils se sentent boostés. Là, c’est la COVID-19 qui dérange », note Jean Rousselle.

Le chef du Parti québécois a dit trouver ces chiffres « extrêmement inquiétants ». « En tant que société, nous devons nous poser la question de ce que nous sommes prêts à tolérer, croit Paul St-Pierre Plamondon. Comme politicien, on sait qu’on s’expose à des critiques, mais lorsque ça tombe dans la haine, il ne faut pas la tolérer. »