(Ottawa) Le Canada impose de nouvelles sanctions contre la Russie en réaction à l’attaque perpétrée par Vladimir Poutine contre « la démocratie, la loi internationale et la liberté ». Sont ciblés les élites russes, les membres du Conseil de sécurité de la Russie, et les ministres de la Défense, des Finances de la Justice.

Ils sont arrivés l’air solennel, et ils n’ont pas mâché leurs mots.

Un acte de « barbarie », une « guerre fabriquée » par un dirigeant qui a « menti impunément » à son peuple dans le but de justifier l’attaque lancée aux aurores, jeudi, qui met en péril l’ordre mondial en place depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le premier ministre Justin Trudeau, la vice-première ministre Chrystia Freeland, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, ont ainsi tour à tour fustigé le régime de Vladimir Poutine, en conférence de presse à Ottawa, jeudi.

« Le mépris éhonté du président Poutine à l’égard du droit international, de la démocratie et de la vie humaine est une menace massive pour la sécurité et la paix dans le monde. […] Il a inutilement mis la vie d’innocents en danger, violé les traités internationaux de la Russie et lancé la plus grande menace pour la stabilité européenne depuis la Seconde Guerre mondiale », a martelé le premier ministre.

Ainsi le gouvernement canadien a-t-il adopté des mesures de représailles additionnelles, plus musclées, qui viennent s’ajouter à la première série dévoilée mardi dernier.

« Ces sanctions viseront 58 personnes et entités, dont des membres de l’élite russe et leur famille, ainsi que le groupe Wagner et de grandes banques russes. Nous sanctionnerons également les membres du Conseil de sécurité russe, le ministre de la Défense, le ministre des Finances et le ministre de la Justice », a détaillé Justin Trudeau.

À cela s’ajoute l’arrêt de délivrance de permis d’exportation vers la Russie ainsi que le gel de ceux qui sont existants. Et ces mesures de représailles auront « une grande portée », car elles « vont entraîner des grands coûts aux élites russes ayant des liens de complicité » et « vont limiter la capacité du président Poutine à continuer de financer cette invasion injustifiée », a insisté le premier ministre canadien.

Les Forces armées « prêtes »

La ministre Anand a affirmé que 3400 membres des Forces armées étaient « prêts » à servir si les alliés de l’OTAN avaient besoin de soutien. Elle a cependant insisté sur le fait que — tout comme Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’alliance politique et militaire l’a dit plus tôt dans la journée – « nous n’avons pas de missions de combat, et ça doit être clair pour notre pays et nos Forces armées ».

L’Ukraine n’étant pas membre de l’OTAN, l’organisation n’a pas d’obligation de riposter militairement à une attaque. L’article 5 du traité prévoit que « si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué ».

Lors d’une séance d’information technique s’étant tenue un peu plus tard, le vice-amiral Bob Auchterlonie, du Commandement des opérations interarmées du Canada, a fait savoir qu’il ne restait plus un seul soldat en sol ukrainien. Les derniers qui étaient restés en poste afin d’assurer la sécurité de l’ambassade ont quitté jeudi matin, a-t-il indiqué.

Les quelque 200 membres de la mission de formation Unifier se trouvent donc en Pologne, jusqu’à nouvel ordre. Et la possibilité qu’ils foulent à nouveau le sol ukrainien à « court terme » est « mince », a déclaré le vice-amiral Auchterlonie.

Mélanie Joly convoque l’ambassadeur

Un peu plus tôt, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a rencontré l’ambassadeur de la Russie au Canada, Oleg Stepanov, au siège d’Affaires mondiales Canada, l’édifice Lester B. Pearson. Elle a condamné de vive voix l’invasion de la Russie en Ukraine.

« Je lui ai expliqué fermement, droit dans les yeux, exactement quelle était la position du gouvernement du Canada par rapport à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et donc, le message a été bien compris […] Mais vous devez comprendre, bien entendu, que le lien de confiance entre le Canada et la Russie est rompu au moment où on se parle », a-t-elle expliqué en conférence de presse.

Elle n’a pas précisé si l’on envisageait d’expulser le chef de mission du Kremlin à Ottawa.

La diplomate en chef du Canada a aussi annoncé que les employés de l’ambassade canadienne en Ukraine, qui avaient déjà été déplacés vers l’ouest, de Kiev à Lviv, ont à nouveau dû se déplacer. Ils ont été envoyés en Pologne « en raison de la situation sécuritaire en Ukraine ».

Elle a passé la matinée à échanger avec des partenaires internationaux, notamment avec son homologue ukrainien, Dmytro Kouleba, à qui elle a promis que le gouvernement canadien veillerait à ce que « des sanctions sévères [seraient] imposées ».

Les demandes d’immigration prioritaires

Le premier ministre a par ailleurs réitéré que le Canada avait conclu une entente avec des pays frontaliers, comme la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Moldavie, afin que les Canadiens et résidents permanents du Canada qui se trouvent en Ukraine puissent traverser la frontière en toute sécurité.

Le Canada « traite aussi en priorité les demandes d’immigration provenant d’Ukrainiens qui souhaitent venir au pays », a ajouté Justin Trudeau. Une ligne téléphonique a aussi été créée pour gens qui se trouvent ici ou à l’étranger et qui ont des questions à poser sur l’immigration en lien avec l’Ukraine, a-t-il souligné.

Depuis environ un mois, quelque 2000 demandes d’asile ont été approuvées, a révélé Nicole Giles, la sous-ministre adjointe des opérations à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Elle n’a pas voulu dire si une cible avait été fixée en ce qui a trait au nombre de réfugiés de guerre que le Canada serait prêt à accueillir.

Par voie de communiqué, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés a assuré qu’elle travaillait « avec les autorités, l’ONU et d’autres partenaires en Ukraine et est prête à fournir une assistance humanitaire partout où cela est nécessaire et possible ».

L’agence onusienne « travaille également avec les gouvernements des pays voisins, les appelant à maintenir les frontières ouvertes à ceux qui recherchent sécurité et protection », et elle se dit prête « à soutenir les efforts de tous pour répondre à toute situation de déplacement forcé ».

« Méprisable et inacceptable »

Tous les partis d’opposition à Ottawa ont vigoureusement dénoncé l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

« L’agression méprisable et l’invasion de l’Ukraine par Poutine sont inacceptables. Son attaque contre le peuple ukrainien et son gouvernement démocratiquement élu est méprisable », a lancé dans un communiqué la cheffe intérimaire du Parti conservateur, Candice Bergen.

« Les autocrates comme Poutine doivent être et seront jugés sévèrement. Les conservateurs sont prêts à défendre l’ordre international fondé sur des règles contre ces graves violations du droit international », a-t-elle ajouté.

Le leader du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, a aussi fermement condamné « l’agression flagrante du président Poutine », et il a exhorté le gouvernement Trudeau à tout faire pour couper les vivres au régime, notamment en travaillant, avec ses alliés, au retrait de la Russie du réseau bancaire SWIFT.

Il a aussi insisté sur le fait que le Canada devrait ouvrir ses portes aux Ukrainiens chassés hors de leur pays par l’offensive militaire de Moscou.

« Dans les jours à venir, le peuple ukrainien aura plus que jamais besoin de notre soutien, le Canada doit avoir un plan d’aide humanitaire. Le Canada doit continuer à travailler avec ses alliés, notamment aux Nations Unies, pour répondre de manière appropriée à cette terrible situation », a-t-il déclaré.