(Ottawa) Le gouvernement Trudeau s’apprête à invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pour une durée de 30 jours afin de mettre fin aux manifestations au centre-ville d’Ottawa et aux barricades érigées à plusieurs postes à la frontière canado-américaine, ont confirmé des sources à La Presse.

Le premier ministre Justin Trudeau a informé ses homologues des provinces lundi matin de la décision de son gouvernement durant une conférence téléphonique. L’option d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence avait été évoquée dimanche par le ministre de la Protection civile, Bill Blair dans une série d’entrevues télévisées.

M. Blair, un ancien chef de la police de Toronto, avait déclaré dimanche que le gouvernement fédéral juge la « situation critique pour le pays », et qu’il est tout à fait disposé « à utiliser tous les outils à [sa] disposition, y compris les pouvoirs d’urgence ».

Durant la conférence téléphonique de lundi matin, la majorité des premiers ministres des provinces ont indiqué à Justin Trudeau qu’ils s’opposent à une telle démarche qui, selon eux, risque de jeter de l’huile sur le feu. Ils ont aussi pressé le premier ministre à présenter un plan de déconfinement, comme les provinces le font depuis quelques jours afin de donner un calendrier plus précis à une population qui est visiblement fatiguée des mesures sanitaires après deux ans de pandémie.

La Loi sur les mesures d’urgence a été adoptée en 1988 par le Parlement canadien. Elle n’a jamais été utilisée depuis, mais sa précédente incarnation, la Loi sur les mesures de guerre l’a été, lors de la crise d’Octobre, par Pierre Elliott Trudeau.

Le premier ministre Justin Trudeau ne compte toutefois pas déployer des militaires pour le moment. « On ne verra pas de soldats sur la rue Wellington », a souligné une source gouvernementale qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement des intentions du premier ministre.

M. Trudeau doit tenir une conférence de presse à 16 h 30 afin d’expliquer sa décision. Il sera accompagné de la vice-première ministre Chrystia Freeland, du ministre de la Justice, David Lametti, du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino et du ministre de la Protection civile, Bill Blair.

Vendredi, le premier ministre avait évoqué cette possibilité, mais il avait également fait valoir que cet outil devait être utilisé en « dernier, dernier, dernier, dernier recours ». M. Trudeau a réuni ses ministres dimanche soir après avoir rencontré les membres du « groupe d’intervention en cas d’incident sur les barrages illégaux en cours ».

Le Nouveau Parti démocratique appuie l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence, lui qui s’était opposé à l’utilisation de la Loi sur les mesures de guerre lors de la crise d’Octobre. Ce sont deux lois différentes, a fait valoir son chef Jagmeet Singh. « La Loi sur les mesures de guerre était très critiquée parce qu’elle donnait des pouvoirs trop élargis au gouvernement et a mené à des abus aux droits de la personne, a-t-il expliqué. La Loi sur les mesures d’urgence ne donne pas les mêmes pouvoirs. »

Le chef néo-démocrate s’est toutefois dit d’accord avec l’utilisation de l’armée pour protéger des infrastructures essentielles « si nécessaire ». Il a toutefois déploré que Justin Trudeau ait laissé la crise perdurer au point d’être obligé d’invoquer cette loi.

« Si le gouvernement avait soutenu la police d’Ottawa plus tôt, la question des mesures d’urgence ne se poserait pas », a réagi à son tour le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, par communiqué. Il attend de connaître les détails sur les dispositions de la Loi sur les mesures d’urgence qui seraient utilisées par le gouvernement pour mettre fin aux manifestations.

Le blocage persiste à Ottawa

Le centre-ville d’Ottawa est paralysé depuis 18 jours par des manifestants qui réclament la fin des mesures sanitaires. Ils ont stationné plus de 400 camions lourds dans les rues du centre-ville et refusent de quitter les lieux, malgré l’état d’urgence décrété par la ville d’Ottawa et la province de l’Ontario.

Leur présence empoisonne la vie des résidants de la capitale fédérale qui déplorent l’incapacité des forces policières à rétablir l’ordre. Certains résidants ont organisé des contre-manifestations pour exprimer leur désespoir.

La Ville a obtenu une injonction lundi après-midi pour empêcher les feux à ciel ouvert, l’usage de feux d’artifice, le bruit, le fait d’encombrer ou d’endommager une autoroute et de faire tourner le moteur d’un véhicule au ralenti. Une injonction précédente avait été obtenue par une jeune femme de 21 ans pour faire cesser le bruit des klaxons.

Et il semble que l’entente rendue publique dimanche entre le maire d’Ottawa, Jim Watson, et la représentante du « convoi de la liberté », Tamara Lich, soit vouée à l’échec. Elle consistait à déplacer les camions des rues des quartiers résidentiels pour les relocaliser au centre-ville.

Car après que la mairie eut dévoilé l’échange de lettres daté du samedi 12 février, l’une des figures de proue du mouvement des camionneurs, Pat King, a publié sur sa page Facebook une vidéo intitulée « PERSONNE NE BOUGE ».

« C’est un mensonge. […] Aux camionneurs, dans leurs véhicules : ne bougez pas », a-t-il insisté, en accusant les contre-manifestants d’avoir voulu semer la confusion en distribuant des lettres. « Ne quittez pas les rues résidentielles. Maintenez votre position », a lancé l’Albertain associé à l’extrême droite.

Le pont Ambassador libéré

Le pont Ambassador, qui relie la ville de Windsor à Detroit, a finalement été rouvert à la circulation dimanche soir après une semaine de fermeture en raison des manifestants qui en ont bloqué l’accès du côté canadien de la frontière. Ce pont est le plus important lien commercial entre le Canada et les États-Unis.

Mais d’autres postes frontaliers, notamment à Coutts, en Alberta, et à Emerson, au Manitoba, sont toujours bloqués.