(Québec) Québec perd en bonne partie son débat sur la constitutionnalité de la loi fédérale C-92, qui vise à donner pleine autonomie aux Premières Nations en matière de protection à l’enfance. La Cour d’appel tranche que la loi du gouvernement Trudeau n’outrepasse pas les pouvoirs du fédéral sauf pour un seul article du texte législatif.

Dans sa décision rendue jeudi, la Cour d’appel conclut que la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, adoptée en janvier 2020, respecte la compétence de la province. Québec contestait devant le tribunal la constitutionnalité de la loi fédérale. Or, selon le tribunal, les principes généraux de la loi C-92 « sont compatibles avec la législation québécoise sur la protection de l’enfance », écrit-on dans la décision de plus de 200 pages.

La Cour d’appel écarte aussi « les arguments que la loi contrevient aux principes du fédéralisme ». Le procureur général du Québec n’a pas non plus fait la démonstration que la loi fédérale ferait entrave « au contenu essentiel d’une compétence législative ».

« C’est déjà un bon signal », s’est réjoui le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard.

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Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, en novembre dernier

La reconnaissance du droit à l’autonomie gouvernementale [pour les Premières Nations], c’est quand même très, très significatif, surtout dans un contexte où il y a un gouvernement provincial qui ne reconnaît pas ce droit-là.

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador

La contestation judiciaire de la loi fédérale par Québec avait provoqué l’ire de l’APNQL en 2020. Le gouvernement Legault estime que la loi du gouvernement Trudeau empiète sur sa compétence puisque le texte législatif vise à donner pleine autonomie aux Premières Nations dans leur service de protection à l’enfance. La protection de la jeunesse est de compétence provinciale.

Québec a toujours affirmé qu’il n’était pas « contre l’idée » derrière la loi C-92, mais qu’il ne pouvait « approuver » la façon de faire d’Ottawa. Au cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, on préfère « prendre connaissance du jugement et l’analyser » avant de le commenter.

Des articles législatifs critiqués

Le gouvernement Trudeau a adopté sa loi dans sa démarche de réconciliation avec les peuples autochtones. De « façon globale », elle vise à s’attaquer au problème de surreprésentation des enfants autochtones dans les services de protection à l’enfance, souligne la Cour d’appel. Mais le tribunal donne raison à Québec sur l’article 21 et le paragraphe 22(3) du texte législatif.

L’article 21 de C-92 « donne force de loi fédérale » à un texte législatif que voudrait adopter une collectivité autochtone selon certaines conditions. Parmi celles-ci, une communauté et Ottawa pourraient s’entendre sans Québec s’il y a une démonstration que la collectivité autochtone n’est pas parvenue à conclure une entente négociée avec la province malgré « des efforts considérables ».

Selon le tribunal, il ne « ressort du tout » qu’Ottawa entend encourager la démarche de négociation avec les provinces. « Je pense aussi qu’il appartient au Québec maintenant de collaborer honorablement pour permettre aux communautés d’appliquer les lois qu’elles souhaitent se donner. Depuis le début, le Québec a toujours été d’un côté hésitant, en essayant de ralentir le processus », illustre le chef Picard.

La loi fédérale nous permet d’aller de l’avant, on va le faire. C’est la volonté des communautés.

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador

Seule la communauté atikamekw d’Opitciwan s’est prévalue de la loi C-92 jusqu’à maintenant.

Cette décision survient alors que Québec étudie son projet de loi 15 sur la réforme de la Loi sur la protection de la jeunesse. Un chapitre complet comportant de nouvelles mesures visant à tenir compte « des facteurs historiques, sociaux et culturels » des Premières Nations est inclus. Mais le texte législatif ne va pas plus loin en matière d’autonomie des Premières Nations.

La présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Régine Laurent, a plaidé lundi pour qu’on laisse la pleine autodétermination des Premières Nations. Une position aussi défendue par le Barreau du Québec et les organisations autochtones.

Pour l’heure, Québec peut déléguer certains pouvoirs en matière de protection à l’enfance en vertu de l’article 37.5 de la Loi sur la protection de la jeunesse, mais cela ne leur donne pas la pleine autonomie.