Sur les réseaux sociaux, les échanges entre les élus, et particulièrement entre des députés et le personnel politique du bureau de François Legault, tournent ponctuellement au vinaigre. Des politiciens dénoncent ce qu’ils perçoivent comme du mépris envers leur fonction, bien que l’opposition sorte elle aussi les griffes par moments.

« Ce qui est malaisant, c’est votre volonté de faire mal paraître le Québec et de faire comme si les efforts des Québécois ne faisaient pas la différence. Élevez-vous ! », a écrit le 20 janvier Stéphane Gobeil, conseiller spécial du premier ministre Legault.

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« Vous devriez avoir honte. Faites de l’air », a répliqué Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois.

« Eh ben ! À fleur de peau ? », demande Stéphane Gobeil, tandis que Florence Plourde, attachée de presse de la ministre Sonia LeBel, lance : « L’amertume, mesdames et messieurs. »

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Aux fins de cet article, une demande d’entrevue a été formulée au personnel du bureau du premier ministre, demande qui a été refusée. Idem du côté de Québec solidaire et de Florence Plourde, une attachée de presse très active sur Twitter.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Joël Arseneau, chef parlementaire du Parti québécois

Au Parti québécois, le député Joël Arseneau a accepté de parler. Parce qu’il juge « indigne », dit-il, que le gouvernement « paye du personnel avec des fonds publics » pour venir « narguer le politicien d’en face » sur les réseaux sociaux.

Je ne m’attends pas à devoir débattre de politiques publiques avec du personnel politique. Sont-ils en mission télécommandée ?

Joël Arseneau, chef parlementaire du Parti québécois

M. Arseneau dit ainsi tout haut ce que d’autres élus (de différents partis) nous ont confié sous le couvert de l’anonymat.

Le cas des conseillers politiques

Ministres et députés sont actifs depuis longtemps sur Twitter. Tous partis politiques confondus, cette tribune leur sert de haut-parleur pour diffuser leurs positions.

Depuis le début de la pandémie, les conseillers politiques, qui traditionnellement travaillaient en coulisses et sont inconnus du public, sont très actifs, particulièrement ceux du cabinet du premier ministre François Legault. Ils y relaient des articles en y ajoutant leur opinion, y contredisent les adversaires ou retweetent des commentaires de leurs collègues conseillers ou des élus caquistes, le plus souvent dans le ton du débat partisan habituel, mais parfois en y allant de commentaires qui, aux yeux de l’opposition, ne passent pas la rampe.

Selon M. Arseneau, ces employés du bureau de François Legault sont des « mercenaires » qui sont « autorisés, sinon encouragés à commenter de façon parfois peu courtoise les propos des élus de l’Assemblée nationale ».

« Ça ne relève pas du débat politique. Pour moi, ça relève d’une attitude qui me semble s’apparenter à de l’intimidation » et qui vise « soit à nous faire taire, à nous narguer ou à tenter de miner notre crédibilité ».

Sur les réseaux sociaux, poursuit-il, les élus ne sont généralement pas invectivés par leur vis-à-vis. M. Arseneau, qui suit les dossiers de santé et de transport, souligne n’avoir jamais eu d’échanges désagréables avec le personnel du cabinet du ministre Christian Dubé ou du ministre des Transports, François Bonnardel. Leurs attachés politiques « ne sont jamais venus attaquer mes propos », relève-t-il.

Une reprise parlementaire qui fait jaser

De gazouillis en gazouillis, le ton monte régulièrement. Mardi, jour de rentrée parlementaire, le député libéral Gaétan Barrette n’a pas que commenté la retraite du joueur de football Tom Brady sur Twitter. Il a aussi évoqué le recul du gouvernement, qui n’imposera finalement pas de contribution santé, disant que c’était sans doute « le sondeur » qui avait dissuadé le gouvernement. Il a aussi fait valoir que le premier ministre faisait exprès de mal prononcer certains mots ou noms pour faire « populiste ».

Martin Koskinen, directeur du cabinet du premier ministre, a répliqué en disant de Gaétan Barrette qu’il était toujours « un personnage aussi “cheap”. Il n’apprendra jamais malgré sa grande intelligence. Désolant ».

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« Spin contre spin »

Au Parti libéral, c’est Monsef Derraji, très présent sur Twitter, qui a accepté de parler de ce sujet.

Il dit prendre les échanges sur Twitter avec un grain de sel, y compris en général avec le personnel politique du premier ministre. « C’est spin contre spin ! », lance-t-il, disant ne pas détester le débat « tant que c’est fait avec respect ».

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Le député libéral Monsef Derraji

Il souligne toutefois le nombre important de « retweets » entre conseillers politiques caquistes.

« Bientôt, ils vont nommer un ministre du spin ! », lance-t-il en riant.

« Je comprends leur rôle de faire la promotion de l’agenda du gouvernement », ajoute-t-il, notant que ce faisant, le personnel politique s’expose très publiquement à des répliques qui peuvent venir de partout.

Mais M. Derraji dit s’interroger. Tout cela est-il productif ? Et surtout, se demande-t-il, le conseiller politique « spinne-t-il l’idée du premier ministre ou la sienne ? »

Une confusion « malhonnête »

C’est précisément la question que se pose Louis Aucoin, stratège en communication et ancien directeur des communications du Bloc québécois sous Gilles Duceppe. « Ce flou qu’on entretient est malhonnête, dit-il. Il faut que tu puisses dire si l’opinion [exprimée par les conseillers] engage oui ou non le cabinet du premier ministre ou si c’est ton opinion personnelle. »

M. Aucoin comprend parfaitement le grand intérêt des conseillers politiques, tous partis confondus, de faire circuler le plus largement possible leur façon de voir les choses. Le problème, « c’est quand ça vire aux insultes personnelles. La nation est en crise et tu cherches la meilleure tournure de phrase pour attaquer ton adversaire ? Pour tous les partis, j’ai un malaise de voir la petite partisanerie s’exprimer là », « à voir des conseillers passer autant de temps » à de pareils échanges.

Si tu es conseiller politique et que tu considères que la priorité dans ton travail, c’est de t’obstiner sur les réseaux sociaux, c’est sûr que ça me questionne.

Louis Aucoin, stratège en communication et ancien directeur des communications du Bloc québécois

Il ajoute qu’à la vitesse où les gens tweetent, le risque de dérapage est très grand.

Ces gazouillis qu’on échappe

Le ministre manitobain du Développement économique et de l’Emploi, Jon Reyes, se l’est fait rappeler en début d’année. En bas d’une photo prise de sa fenêtre montrant sa femme qui pellète l’entrée du garage en plein froid, il écrivait, début janvier : « Même après un quart de travail de 12 heures à l’hôpital la nuit dernière, ma femme a encore de l’énergie pour pelleter l’entrée. Que Dieu la bénisse, et tous nos travailleurs de première ligne. Il est temps de lui préparer un petit déjeuner. » Son gazouillis est devenu viral, raillé bien au-delà du Canada, par des internautes n’en revenant pas qu’il reste au chaud et laisse sa femme peiner toute seule.

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M. Derraji évoque pour sa part cette fois où il s’est fait prendre à reproduire un tweet sur le variant Omicron qu’il croyait émaner d’une reporter, alors qu’il était de la main d’un antivaccin. « J’ai rapidement retiré mon message », dit-il, mais il était déjà lancé dans l’univers et raillé par le bureau du premier ministre.

Guillaume Simard-Leduc, directeur des communications au cabinet de François Legault, a vite souligné la gaffe. « Un élu comme vous ne devrait-il pas faire un minimum de vérifications avant de retweeter quelqu’un ? […] » Et d’enchaîner : « La suppression du tweet est une chose, mais ce genre de bévue (et il y en a d’autres) jette un doute sur vos sources d’informations comme porte-parole en santé. […] »

Sonia LeBel a elle-même été trop vite sur la gâchette et a dû corriger le tir le 12 janvier. « L’erreur est humaine, c’est bien connu. Désolée de décevoir Éric Duhaime, mais ce retweet a été fait par inadvertance. Et je vous rassure, je suis très à l’aise avec les mesures sanitaires. J’en profite pour vous inciter à vous faire vacciner. »

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Des gazouillis aussi publics que ciblés

Le professeur Thierry Giasson, directeur du département de science politique de l’Université Laval, rappelle que contrairement à Facebook, Twitter demeure un forum d’initiés et que le but des conseillers politiques là-dessus, c’est d’être lu par des journalistes, « d’imposer son interprétation » et de recadrer les débats à sa sauce.

Mireille Lalancette, professeure de communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières, constate aussi que le but des politiciens et des conseillers politiques sur Twitter « est d’attirer l’attention des journalistes, de critiquer et de stabiliser l’adversaire », mais cela doit rester dans le respect et ne jamais tomber dans le cyberharcèlement ou les insultes.