(Québec) Pierre Fitzgibbon va réintégrer le cabinet à titre de ministre de l’Économie, mais ce sera un ministre vendu « pour un million », toujours en conflit d’intérêts, a conclu l’opposition vendredi.

« On a besoin du député de Terrebonne comme ministre de l’Économie, il va régulariser sa situation et revenir servir le Québec », a laissé entendre en Chambre le leader parlementaire adjoint de la CAQ, Éric Caire, tandis que la commissaire à l’éthique qui recommandait de le sanctionner a fait savoir qu’elle était maintenant prête à passer l’éponge.

Rappelons que le ministre déchu contrevenait depuis plus de deux ans au code d’éthique de l’Assemblée nationale parce qu’il n’avait pas vendu ses participations dans deux entreprises privées qui font affaire avec le gouvernement.

Mercredi, quand la commissaire à l’éthique a recommandé dans un rapport de le bannir de la Chambre, il s’est donc retiré du conseil des ministres le temps de vendre ses participations avec le bénéfice de plus d’un million qu’il escomptait.

« À vendre pour un million »

Mais pour l’opposition officielle, Pierre Fitzgibbon est loin d’être blanchi pour autant. Car il sera redevable à l’acheteur qui lui aura rendu service en achetant ses parts, pour ainsi lui permettre de réintégrer le conseil des ministres.

« Il est prêt à vendre ses actions pour un million de dollars, tout le monde est au courant qu’il n’est temporairement plus ministre de l’Économie et qu’il est à vendre pour un million, parce qu’une fois qu’il aura son million, il redevient ministre de l’Économie, c’est la définition même du conflit d’intérêts », a dénoncé le porte-parole libéral en matière de justice, Marc Tanguay.

Comme il l’avait annoncé, le gouvernement caquiste a voté contre le rapport de la commissaire et la sanction qu’elle recommandait.

Pour que le rapport soit entériné, il aurait fallu que les deux tiers des parlementaires votent en faveur, or la Coalition avenir Québec (CAQ) est majoritaire en Chambre, avec 75 sièges sur 125, donc elle a remporté le vote contre les trois partis d’opposition.

« La commissaire tient cependant à rappeler que l’objectif ultime derrière [la sanction] était de faire cesser un manquement continu au code d’éthique […] », a écrit la commissaire Ariane Mignolet dans un communiqué publié vendredi.

« La commissaire salue le geste du député de Terrebonne d’entamer les démarches requises pour s’y conformer et elle lui offre son entière disponibilité et collaboration pour l’accompagner dans ce processus. »

En l’absence du premier ministre vendredi, la vice-première ministre, Geneviève Guilbault, a expliqué que son parti votait contre le rapport « sur le fond » parce qu’il contiendrait une « contradiction » selon elle.

Si le ministre démissionne et à titre de député doit placer ses avoirs dans une fiducie sans droit de regard, il n’aura donc pas le droit de donner des instructions au fiduciaire pour vendre les participations en vue d’ensuite pouvoir réintégrer le conseil des ministres.

Or, le député veut vendre ses actions en négociant lui-même un bon prix, avait valoir François Legault cette semaine.

En votant contre le rapport de la commissaire, la CAQ de M. Legault fait preuve d’une « arrogance inouïe », a martelé vendredi matin la cheffe de l’opposition officielle, Dominique Anglade.

Elle accuse le premier ministre de manquer de respect envers les institutions et d’avoir une « éthique élastique ».

Mme Anglade a cité M. Legault, qui déclarait en 2018 qu’on ne pouvait pas prendre un rapport de la commissaire à l’éthique « à la pièce », c’est-à-dire accepter des bouts et en rejeter d’autres.

M. Legault tient un « double discours, a-t-elle déclaré. Elle a par ailleurs qualifié l’attitude du premier ministre en Chambre d’« ultra-paternaliste ».

Lorsqu’un journaliste lui a rappelé que le Parti libéral du Québec (PLQ) avait lui aussi voté contre un rapport de la commissaire à l’éthique en 2018, Mme Anglade a regretté que le parti ait envoyé un « mauvais message ».

« Je pense que les rapports du commissaire à l’éthique devraient être appuyés, a-t-elle affirmé. Oui, c’est un engagement que je fais.

« La réalité là, honnêtement, c’est que je suis consciente du message que ça envoie au respect de nos institutions. […] Je pense qu’on a envoyé un mauvais message, effectivement », a-t-elle reconnu.

Selon la vice-première ministre Geneviève Guilbault, « c’est facile de dire ça après coup ».

Mme Guilbault a aussi fait valoir que la commissaire avait déjà elle-même recommandé que l’on modifie le code d’éthique.