(Ottawa) Le gouvernement Trudeau songe sérieusement à confier aux provinces et aux territoires, plutôt qu’aux municipalités, la responsabilité d’interdire les armes de poing, a appris La Presse. Un mandat dont Québec est tout à fait prêt à s’acquitter, mais en contrepartie d’un financement.

Les libéraux de Justin Trudeau ont fait un constat brutal depuis qu’ils ont déposé le projet de loi C-21 sur le contrôle des armes à feu. Le train de mesures proposé a été taillé en pièces par les provinces, par les municipalités et par des groupes en lesquels les libéraux voyaient des alliés naturels, comme PolySeSouvient.

En outre, le gouvernement libéral minoritaire n’aura l’appui d’aucun des trois partis de l’opposition pour le faire adopter dans sa mouture actuelle à la Chambre des communes. Résultat : des changements sont devenus inévitables, convient-on dans les rangs libéraux.

Le projet de loi devait être un atout pour nous. C’est devenu un boulet.

Une source libérale

Dans sa présente mouture, le projet de loi C-21 créerait un programme de rachat volontaire des quelque 1500 armes à feu prohibées depuis mai dernier. Il imposerait aussi de lourdes pénalités pour ceux qui acquièrent des armes à feu sur le marché noir. En outre, le projet de loi accorderait de nouveaux pouvoirs aux municipalités pour interdire les armes de poing malgré les critiques de plusieurs maires.

D’emblée, les familles de victimes de la tuerie de Polytechnique ont accusé le gouvernement libéral de « trahison totale » parce que le programme de rachat des armes d’assaut prohibées s’appuierait sur la bonne foi de leurs propriétaires au lieu d’être obligatoire, comme les libéraux l’avaient promis durant la dernière campagne électorale. Les maires des grandes villes, eux, ont affirmé qu’Ottawa se défile devant ses responsabilités en voulant déléguer aux municipalités le pouvoir d’interdire les armes de poing.

Québec veut un financement

À Québec, on est prêt à prendre en charge le dossier des armes de poing. Mais à une condition : qu’Ottawa sorte le chéquier. « Si le fédéral veut qu’on gère les armes à feu, eh bien, qu’il nous donne la compétence », a résumé à La Presse une source au gouvernement Legault.

Confier cette responsabilité aux provinces « ne dérangerait pas fondamentalement » le fédéral – la difficulté, « c’est l’argent qui va avec, ce serait beaucoup d’argent », a estimé cette source, sans être en mesure de chiffrer la somme que Québec réclamerait.

Car les pourparlers n’en sont pas à ce stade. Mais une chose paraît claire aux yeux des caquistes : donner aux municipalités la responsabilité d’interdire les armes de poing, « ça ne marchera pas », et il n’en est donc « pas question », a tranché la source.

La députée fédérale Alexandra Mendès est du même avis. « Disons qu’à Shawinigan, on le fait [bannir les armes] et qu’à Trois-Rivières, on ne le fait pas. En quoi est-ce que ça va régler le problème ? », lance la libérale en entrevue.

C’est sûr qu’en Alberta et en Saskatchewan, il y a plus de réticences. S’ils ne veulent pas s’en prévaloir, ça leur appartient. Mais si le Québec et l’Ontario, les deux provinces les plus peuplées, disent oui, tant mieux.

Alexandra Mendès, députée du Parti libéral du Canada

Les élus québécois unanimes

Déposé le 16 février dernier, le projet de loi C-21 n’a été débattu qu’une seule fois à la Chambre des communes. Et il ne reste au calendrier des travaux que neuf semaines et demie avant les vacances d’été – et de possibles élections fédérales.

Dès le lendemain de la présentation de la mesure législative, les députés de l’Assemblée nationale réclamaient unanimement qu’Ottawa délègue au gouvernement du Québec le pouvoir d’interdire les armes de poing.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alexandre Leduc, député de Québec solidaire

La résolution soumise par Alexandre Leduc, de Québec solidaire, rappelait entre autres la volonté du gouvernement Trudeau de remettre entre les mains des villes un « pouvoir d’interdiction […] que celles-ci ne […] souhaitent pas ».

Il y a un peu plus de deux semaines, Justin Trudeau s’est dit « ouvert » à modifier le projet de loi. De l’étude de C-21 en comité pourraient découler des « améliorations potentielles », a-t-il plaidé, sans fournir davantage de détails.

Le premier ministre a tenu ces propos quelques jours après que des survivantes et des proches de victimes du féminicide de Polytechnique l’eurent sommé de retirer C-21 sous peine d’être déclaré persona non grata aux cérémonies de commémoration.