(Ottawa) L’ancien ombudsman militaire Gary Walbourne a déclaré mercredi qu’il avait spécifiquement informé il y a trois ans le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, d’allégations d’inconduite qui visaient le chef d’état-major Jonathan Vance, lors d’une réunion à huis clos « hostile ».

M. Walbourne témoignait mercredi devant le Comité de la défense des Communes. Ses déclarations semblent contredire le témoignage de M. Sajjan devant le même comité, le 19 février. Le ministre de la Défense déclarait alors qu’il avait été le premier surpris lorsque Global News a fait état pour la première fois des allégations d’inconduite, au début de février.

Invoquant la confidentialité, le ministre Sajjan a alors refusé à plusieurs reprises de confirmer devant le comité les informations des médias selon lesquelles M. Walbourne avait soulevé les allégations lors de leur rencontre en mars 2018.

Mais l’ancien ombudsman, dont le témoignage public est protégé par le privilège parlementaire, a utilisé sa déclaration liminaire devant le comité, mercredi, pour confirmer publiquement, pour la première fois, cette conversation avec le ministre. « Oui, je lui ai directement parlé d’une allégation de comportement sexuel inapproprié visant le chef d’état-major », a-t-il dit.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Jonathan Vance

Dans une déclaration écrite publiée après la réunion du comité, M. Sajjan a affirmé qu’il était en désaccord « avec certaines parties du témoignage qui a eu lieu en comité aujourd’hui ».

« Comme je l’ai dit, j’ai été aussi choqué que tout le monde par les allégations qui ont été rendues publiques le mois dernier », a-t-il déclaré.

« Je peux assurer au comité, et à tous les Canadiens, que toutes les allégations qui ont été faites ont été très rapidement soumises aux autorités compétentes, tout en respectant la nécessité de protéger la vie privée de toutes les personnes impliquées. Toute suggestion selon laquelle j’ai agi autrement est erronée. »

Global News a rapporté que le général Vance aurait eu, avant de devenir chef d’état-major, une liaison continue avec une subordonnée. Il aurait aussi tenu des propos inappropriés envers une deuxième militaire, de grade inférieur, en 2012.

M. Vance, qui a transféré le commandement des armées en janvier, après plus de cinq ans, n’a pas répondu aux demandes de commentaires de La Presse Canadienne et les allégations contre lui n’ont pas été vérifiées de manière indépendante. Global soutient que M. Vance a nié tout acte répréhensible. La police militaire enquête actuellement sur les allégations.

La police militaire enquête aussi sur le successeur de M. Vance, l’amiral Art McDonald, qui s’est temporairement retiré la semaine dernière en réponse à des allégations non précisées d’inconduite.

Des « preuves irréfutables »

M. Walbourne n’a pas précisé la teneur de l’allégation qu’il a présentée au ministre Sajjan. Il a également confirmé les reportages selon lesquels aucune plainte officielle n’avait été déposée par des présumées victimes. Mais il a déclaré aux députés qu’il en était venu à détenir des « preuves irréfutables et concrètes » au sujet de M. Vance, ce qui l’a amené à soulever la question avec le ministre Sajjan.

« Je n’ai pas donné au ministre les détails de l’allégation : j’ai essayé de lui montrer des preuves, il a refusé de les voir », a-t-il dit.

Il a aussi déclaré au comité que le ministre Sajjan avait par la suite coupé tout contact avec lui, jusqu’à sa démission le 31 octobre 2018. « Cette réunion a été très hostile et s’est terminée amèrement. »

M. Walbourne a également déclaré qu’il avait demandé à M. Sajjan de garder l’affaire confidentielle jusqu’à ce qu’ils puissent trouver comment traiter l’allégation, mais que le ministre en avait plutôt informé le Bureau du Conseil privé, le « ministère du premier ministre », qui a ensuite demandé à l’ombudsman des renseignements sur la plaignante.

L’ancien ombudsman, qui avait d’abord décliné l’invitation de témoigner devant le comité, avant que les membres ne l’assignent officiellement, a indiqué mercredi qu’il avait refusé de fournir cette information parce que la plaignante n’avait pas donné la permission de le faire — il a d’ailleurs critiqué vertement le ministre pour cette fuite au Bureau du Conseil privé.

Les membres libéraux du comité lui ont demandé à plusieurs reprises ce qu’il attendait du ministre Sajjan après l’avoir informé ; ils ont laissé entendre que le ministre avait agi promptement et de manière appropriée en informant le Bureau du Conseil privé.

M. Walbourne a répondu qu’il cherchait une « couverture supérieure » auprès du ministre, afin qu’il puisse retourner vers la plaignante et discuter du dépôt d’une plainte officielle contre le général Vance.

Les députés de l’opposition au comité ont laissé entendre que le ministre Sajjan avait non seulement omis de prendre des mesures lorsqu’on lui a présenté les allégations en 2018, mais, selon les mots du néo-démocrate Randall Garrison, « n’avait pas été franc (avec le comité) lors de sa comparution ».