(Ottawa) Une coalition de groupes de défense exhorte le gouvernement fédéral à tenir sa promesse de prendre des mesures immédiates contre les discours haineux en ligne et d’inclure des mesures pour s’attaquer au problème dans le discours du Trône prévu mardi.

Les membres de la coalition souhaitent rapidement l’adoption d’une loi pour réglementer la haine en ligne, craignant de voir cette question aux oubliettes. Les libéraux ont promis lors des récentes élections fédérales que ce dossier serait une priorité au cours de la nouvelle session parlementaire, qui doit débuter lundi.

Peu de temps avant l’ajournement du Parlement en vue du scrutin de septembre, le gouvernement libéral a déposé un projet de loi ciblant les formes extrêmes de discours haineux sur le web.

Ce projet de loi, connu sous le nom de projet de loi C-36, a suscité des critiques de la part des conservateurs et d’autres qui se sont dits préoccupés par le fait qu’il pourrait restreindre la liberté d’expression ou être difficile à appliquer.

Le projet de loi est finalement mort au feuilleton à la dissolution de la Chambre des communes.

Les ministères du Patrimoine canadien et de la Justice disent travailler sur des moyens de résoudre le problème et notent que la solution pourrait impliquer plus d’un projet de loi.

Ces derniers mois, selon le ministère du Patrimoine, le gouvernement a mené des consultations sur la manière d’élaborer une nouvelle législation concernant la violence en ligne.

Justine Lesage, porte-parole du ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, a déclaré que le projet de loi C-36 faisait partie d’une initiative majeure du gouvernement pour lutter contre les discours haineux.

Elle a mentionné que ce dossier demeure « une priorité pour le gouvernement ».

Dans la foulée des consultations, les libéraux ont lancé la création d’une nouvelle agence gouvernementale pour lutter contre la violence en ligne.

Mais les groupes consultés sur les propositions craignent des problèmes de formulation et que l’étendue des travaux d’une nouvelle législation fasse reléguer ce dossier au second rang des priorités du gouvernement.

« Le moment est venu d’agir »

La Coalition canadienne pour contrer la haine en ligne (CIJA), qui comprend des organisations juives, musulmanes, sikhes, autochtones et noires, a écrit au ministre de la Justice David Lametti et au ministre Rodriguez pour les presser d’adopter une réglementation.

La lettre indique qu’une législation est nécessaire, car « le secteur des médias sociaux n’a pas la volonté de s’autoréglementer ».

« Le moment est venu d’agir. Chaque jour, les Canadiennes et les Canadiens sont exposés à un déluge de contenu haineux », indique la lettre, ajoutant que les jeunes et les Canadiens racialisés sont confrontés à un tel contenu plus souvent que les autres.

Le projet de loi C-36 aurait modifié la Loi canadienne sur les droits de la personne pour introduire une nouvelle version d’un article controversé qui a été abrogé en 2013 en raison des critiques selon lesquelles il violait le droit à la liberté d’expression.

Le changement proposé aurait défini la haine de manière plus étroite comme un « sentiment plus fort que l’aversion ou le dédain et comportant de la détestation ou de la diffamation ». Le projet de loi C-36 aurait également modifié le Code criminel et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Le projet de loi aurait permis à des individus ou à des groupes de déposer des plaintes pour discours haineux auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Il comprenait également des mesures visant à prévenir les abus de procédure.

À l’époque, les conservateurs ont rejeté le projet de loi C-36 comme une « position politique » de dernière minute. La plateforme électorale conservatrice promettait de criminaliser les propos incitant à la violence contre des personnes ou des groupes identifiables, tout en protégeant les discours et les critiques qui ne l’encouragent pas.

Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, a appelé à une réglementation plus stricte de la haine en ligne.

Le projet de loi C-36 ne s’appliquerait qu’à ceux qui écrivent un message haineux en ligne, et non aux plateformes de médias sociaux où ils le publient.

La plateforme libérale promettait qu’une législation garantissant que « les entreprises de médias sociaux et autres services en ligne sont tenus responsables du contenu qu’elles hébergent » viendrait dans les 100 premiers jours d’un nouveau mandat.

Richard Marceau, un ancien député du Bloc québécois qui dirige maintenant la CIJA, a déclaré qu’il y avait un lien clair entre la haine en ligne et les attaques violentes contre les juifs et les musulmans.

« Nous comprenons que lorsque nous traitons de la liberté d’expression, en particulier de la haine en ligne, on doit trouver le bon équilibre. Nous voulons nous assurer que les groupes ciblés soient protégés contre la haine en ligne qui conduit trop souvent réellement à de la violence », a déclaré M. Marceau.

Certains craignent qu’un projet de loi précipité ne survive pas à l’examen parlementaire, ou que les comédiens ou ceux qui expriment des opinions politiques épineuses puissent être pris par inadvertance dans son application.

Fatema Abdalla, porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens, estime qu’il s’agit d’une question urgente, mais l’élaboration du projet de loi doit être faite correctement.

Bernie Farber, fondateur du Réseau canadien anti-haine, a déclaré qu’il vaudrait mieux présenter un projet de loi et le peaufiner dans un comité parlementaire, plutôt que de voir de nouveaux retards.

« Je préférerais avoir un projet de loi mal rédigée que rien du tout », a-t-il affirmé.