Le gouvernement Legault lance un plan d’action pour faire face à l’intimidation en milieu municipal, dans la foulée de l’importante vague de départs d’élus et de maires qui ont quitté la vie politique en montrant du doigt la haine qui circule sur les réseaux sociaux.

« Il n’y a pas de place pour ces propos-là sur l’internet. Notre travail, on le fait pour nos concitoyens. C’est un don de soi énorme. La critique, c’est toujours correct, mais il faut qu’on puisse avoir des échanges dans le respect. Quand on est rendu à des injures, des insultes gratuites, ça ne peut plus fonctionner », soutient en entrevue la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest.

Mme Laforest s’estime chanceuse de n’avoir pas subi d’intimidation jusqu’ici, mais elle « touche du bois ». « Du jour au lendemain, ça pourrait être moi. Et personnellement, je suis très sensible. Si on me lançait des propos haineux, méchants et vexatoires, est-ce que je serais heureuse d’être élue ? », s’interroge-t-elle.

Un webinaire réunissant plus de 2000 candidats à travers le Québec était prévu mercredi soir, pour présenter ce nouveau plan d’action. Ce dernier comprend une dizaine de mesures, dont une formation à l’interaction ou la résolution de conflits sur les réseaux sociaux et la diffusion de publicités pour « sensibiliser la population » à l’importance du respect dans les échanges. Québec veut aussi mettre sur pied un programme d’accompagnement et un guide de bonnes pratiques.

La ministre reconnaît que la pandémie a probablement aggravé le phénomène de la haine en ligne. « Les gens étaient complètement derrière leurs écrans, mais les élus, eux, travaillaient sept jours sur sept pour trouver des solutions aux problèmes du quotidien. Ce sont des humains. Et si on revit une autre pandémie dans quatre ou cinq ans, ça doit changer, dit-elle. Je veux que les élus sachent qu’on a un plan pour les soutenir, qu’on est là pour eux, qu’on va les accompagner. Je ne les lâcherai pas, même après les élections. »

La goutte de trop

En mars, le maire de l’arrondissement de Verdun Jean-François Parenteau avait annoncé son retrait de la politique en vue des élections, citant des « attaques personnelles et des commentaires gratuits de plus en plus présents » sur les réseaux sociaux. « Je pense qu’il va falloir approcher le problème de façon beaucoup plus large que les élus. Les réseaux sociaux sont un outil extraordinaire qui rapproche les gens, mais il faut qu’on s’attaque à l’ambiance sociale, [qu’on garde] le bon et enlève ce qui est un peu le Far West en ce moment », note M. Parenteau, saluant tout de même le geste du gouvernement Legault.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-François Parenteau, lors de son entrée au comité exécutif de la Ville de Montréal en novembre 2017

Dans la grande majorité des cas, c’est utile, mais il y a quand même une poignée de gens qui tirent du jus et qui n’amènent rien au débat public. Ces gens font des choses derrière l’écran qu’ils ne feraient jamais en personne.

Jean-François Parenteau, maire sortant de Verdun

Philippe Roy, qui dirige Mont-Royal depuis plus d’une décennie, a aussi jeté l’éponge ce printemps, en indiquant que le climat toxique était « la goutte qui a fait déborder le vase ». « La question qui doit être traitée, selon moi, c’est beaucoup l’anonymat, avance-t-il. Tous ces gens qui s’expriment méchamment sur les réseaux sociaux, ils ont souvent de faux noms et se cachent derrière des faux comptes. Ça serait facile d’encadrer ou de réglementer ça. »

L’UMQ très préoccupée

À l’Union des municipalités du Québec (UMQ) – qui avait lancé en janvier une campagne contre l’intimidation des élus –, le président Daniel Côté est catégorique. « C’est inacceptable qu’on tolère des gestes criminels, de l’intimidation, des menaces sur les réseaux sociaux. Il faut faire davantage pression sur les géants du web, qui font des milliards avec ça », plaide-t-il, en appuyant la démarche de Québec.

« On doit contrôler le discours qui se promène, pas dans le sens d’une atteinte à la liberté d’expression, mais dans l’optique de faire disparaître ce qui est, au fond, des infractions criminelles », ajoute M. Côté.

Celui qui est aussi maire de Gaspé reconnaît néanmoins que la situation s’améliore. « L’apogée de tout ça, on l’a connu au cœur de la période de confinement. La santé mentale de bien des gens a été mise à rude épreuve, et ça s’est transposé quelque part sur les élus. Avec la vaccination, ça devient de moins en moins pire. Je pense qu’on est sur la bonne voie », conclut-il, en appelant à multiplier les activités de sensibilisation pour « mettre le doigt sur le bobo » et achever ce « grand chantier ».

La question du harcèlement revient régulièrement parmi les raisons qui freinent les candidats à faire le saut en politique ou les élus à y rester. Il faut combattre ce fléau et ce plan d’action est un excellent pas en ce sens.

Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM)

Nombre de maires et d’élus ont dû composer avec la haine : Valérie Plante (Montréal), Maxime Pedneaud-Jobin (Gatineau), Régis Labeaume (Québec), Sylvie Parent (Longueuil) ou encore Jérôme Landry (Matane). En 2020, le maire de Pierreville, Éric Descheneaux, avait aussi décidé de démissionner dans la foulée de commentaires homophobes en ligne.