(Ottawa) L’étroite correspondance entre le ministère fédéral des Transports et l’Office des transports du Canada (OTC) au sujet du remboursement des passagers des compagnies aériennes remet en question l’indépendance de l’organisme de réglementation, disent des experts et des députés de l’opposition.

Les courriels obtenus par le comité permanent des transports de la Chambre des communes révèlent que les hauts fonctionnaires s’écrivaient souvent au printemps 2020 au sujet de la position publique de l’OTC concernant les crédits accordés par les compagnies aériennes à leurs clients pour éviter de les rembourser après l’annulation de leur vol.

Quelques jours avant la déclaration de l’OTC, publiée le 25 mars 2020, les conseillers politiques principaux avaient discuté de son contenu. L’organisme avait statué que ce crédit constituait une approche raisonnable à l’égard des passagers.

« Je suis sur un appel Min/DM [ministre/sous-ministre] et je suis sûr que la question sera posée. Avez-vous des informations à fournir rapidement ? », a écrit Vincent Millette du ministère des Transports Canada à Caitlin Hurcomb de l’OTC, le matin du 23 mars au sujet de « la question du remboursement et des crédits ».

« Cela a été discuté entre le président, le sous-ministre et votre sous-ministre adjoint », répond Mme Hurcomb.

Gabor Lukacs, le président du groupe Droit des voyageurs, reconnaît qu’il existe peu de preuves des pressions que peut exercer le gouvernement sur l’organisme. Toutefois, ajoute-t-il, ces contacts fréquents semblent démontrer que tous deux travaillent de concert sans maintenir une distance appropriée.

Cela montre que l’OTC n’a pas agi de manière indépendante. Un juge qui agit de manière indépendante n’irait pas discuter avec les avocats de l’une des parties ou avec qui que ce soit d’autre.

Gabor Lukacs, président du groupe Droit des voyageurs

Alors ministre des Transports, Marc Garneau, avait déclaré le 28 mai au Comité spécial sur la pandémie de la COVID-19 que « l’Office des transports du Canada est un organisme quasi judiciaire indépendant de Transports Canada et du gouvernement canadien ».

En réponse à une question du porte-parole du Bloc québécois en matière de transports, Xavier Barsalou-Duval, M. Garneau avait dit que « l’Office des transports du Canada s’est prononcé sur cette question et a jugé que, dans les circonstances actuelles et de façon non contraignante, il était acceptable que les lignes aériennes offrent des crédits valides jusqu’à deux ans. »

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L'ex-ministre des Transports, Marc Garneau

Selon M. Barsalou-Duval, les courriels contredisent la version de M. Garneau sur les raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral avait choisi de ne pas exiger aux compagnies aériennes de rembourser leurs clients, contrairement aux politiques mises en place aux États-Unis et dans l’Union européenne.

« Ce que je constate, c’est que l’OTC ne bouge pas avant de s’adresser au cabinet du ministre. La correspondance montre également que la pleine indépendance que l’OTC n’est pas aussi forte que le ministre le prétendait », dit-il.

La porte-parole conservatrice Stephanie Kusie a déclaré que le gouvernement « peut et doit laisser l’OTC faire son travail afin que les passagers qui ont attendu plus d’un an puissent enfin recevoir la compensation qu’ils méritent ».

Le ministère des Transports rejette toute insinuation voulant qu’il joue un rôle dans les décisions de l’OTC.

« La communication citée concerne une décision déjà prise par le CTA et n’influence en aucune façon cette décision. Il n’est pas rare que l’organisme informe le ministère d’une annonce à venir ou que le ministère pose des questions factuelles sur les annonces à être en mesure d’informer le ministre », a expliqué une porte-parole du ministère, Sau Sau Liu dans un courriel transmis à La Presse Canadienne.

« De telles discussions n’affectent ni n’entravent en aucune façon l’indépendance ou les relations sans lien de dépendance de l’OTC avec Transports Canada. »

Selon l’article 39 du code de conduite de l’OTC, ses membres ne doivent pas communiquer avec acteurs politiques ou des fonctionnaires d’autres ministères et organismes fédéraux, des gouvernements provinciaux ou étrangers ou des organisations internationales au sujet d’une question qui est, était ou pourrait être soumise à l’agence.

Jean-Denis Pelletier, un membre de l’OTC de 2008 et 2013, soutient que l’organisme a rarement interagi avec le gouvernement fédéral au cours de son mandat.

« L’OTC est un organisme indépendant. Il travaille un peu avec Transports Canada, mais pas très étroitement », a-t-il dit, ajoutant qu’il n’y avait « pas beaucoup » de correspondance entre eux.

L’OTC s’est également défendu en disant que chaque situation portée à son attention est examinée selon ses mérites.

« Puisque l’OTC réglemente l’industrie du transport, les échanges entre l’OTC, Transports Canada et un large éventail d’intervenants sont courants. Dans tous les cas, les décisions de l’OTC sur toute question sont prises de manière indépendante et impartiale, a déclaré l’agence dans un courriel. Toute communication avec le personnel de Transports Canada est simplement à des fins d’information et pour s’assurer, surtout devant des circonstances comme celles du début de la pandémie, que les différentes parties du système fédéral ne fonctionnent pas à contre-courant. »

La Loi sur les transports au Canada oblige l’OTC à alerter le ministre de tout règlement qu’elle propose. Cependant, la position sur les crédits avait peu ou rien à voir avec les nouvelles réglementations.

Le porte-parole du NPD en matière de transport, Taylor Bachrach, se demande « si la déclaration ne causait pas un préjudice sur une éventuelle enquête l’examen des plaintes ».

« L’OTC a choisi d’assimiler les deux, en disant essentiellement qu’un crédit est aussi bon qu’un remboursement dans ces cas. Tout cela a mis en évidence le fait que des changements doivent être apportés pour éviter que cela ne se reproduise. »